A Ouagadougou la vie continue mais la tension monte (3/5). Rencontre avec des habitants ayant fui les violences.
Le visage souriant, Abdoul Latif Sawadogo rentre de ses courses. Son scooter poussiéreux ne détonne pas dans le quartier Pazaani, en périphérie de Ouagadougou. Aux fenêtres de son commerce, ouvert il y a trois ans, des rouleaux de tissus, des pagnes et de la popeline. « Dieu merci, j’ai appris un métier qui me permet aujourd’hui de me débrouiller, dit-il. C’est comme ça que j’ai recommencé à coudre des vêtements ici, vue que je le faisais aussi à Silgadji. » Abdoul Latif est heureux et savoure chaque instant : il a échappé de justesse à la mort.
En 2017, Abdoul Latif, débarque sans rien en poche à Ouagadougou grâce à des opérations de sauvetages. Agé de 27 ans et père de famille, il a abandonné tout ce qu’il possédait pour fuir les tueries à Silgadji, son village, dans la commune de Tongomayel. « Ils sont arrivés dans notre village et ils ont tué beaucoup de personnes dont certains de mes voisins, se souvient-il. Nous avons préféré fuir pendant qu’il était temps. »
Depuis les premières attaques terroristes en 2015, la province du Soum est fréquemment en proie aux violences et aux déplacements de population. Avec sa famille et quelques proches ayant survécu aux massacres, Abdoul Latif arrive à Pazaani, dans un car affrété par des ressortissants de Silgadji pour convoyer les rescapés des violences meurtrières. « Les gens ici nous ont accueillis à notre arrivée, se réjouit-il. Depuis, nous vivons tous ensemble dans une bonne entente ». Soutenu par son père, Abdoul Latif loue une maisonnette et achète une machine à coudre. Son atelier voit ainsi le jour. Sur une table aujourd’hui, des morceaux de pagnes découpés sont en cours d’assemblage. Ses affaires tournent.
Entre espoir et inquiétudes
Une nouvelle vie commence pour lui mais également pour son frère cadet, Idrissa. « J’ai appris à faire des fenêtres et des portes en vitre avec un autochtone de Pazaani, explique ce dernier. Je n’avais pas assez d’argent pour refaire du commerce alors, je me promène dans la ville pour trouver des clients. Mais ça ne marche pas aussi bien qu’on le voudrait. »
Malgré les difficultés du quotidien, Idrissa ne perd pas espoir : « Beaucoup d’amis sont allés chercher de l’or sur les sites miniers autour de Ouaga mais cela ne m’intéresse pas. Bien sûr que je veux avoir de l’argent, mais pas dans l’orpaillage ». Idrissa rêve d’avoir un jour son propre commerce de ventes de matériaux. Il veut aussi s’installer définitivement dans la capitale, même si la sécurité revenait à Silgadji.
Le 16 novembre, des centaines de personnes ont manifestés à Ouagadougou. Dans les rues, elles ont exprimé leur ras-le-bol au regard de la gestion de la situation sécuritaire faite par le gouvernement. Les manifestants ont dénoncé une gestion ‘’chaotique ‘’ et ‘’l’incompétence’’ du pouvoir de Rock Kaboré. A Pazaani, les deux frères ne cachent pas leurs inquiétudes : « Quand nous avons fui notre village nous pensions que la situation allait s’améliorer. Ces marches dans la capitale nous font craindre le pire ».
Ouassinatou Zoungrana