Dr Daouda Diallo, est lauréat du Prix Martin Ennals 2022. Secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), il remporte ce prix destiné à récompenser les personnes et organisations qui ont fait preuve d’engagement exceptionnel pour la défense et la promotion des droits humains, malgré les risques encourus. Quelques heures après cette distinction internationale, le jeune leader nous livre ses sentiments…
Studio Yafa : Lauréat du prix Martin Ennals 2022, comment avez-vous accueilli cette distinction ?
Daouda Diallo : C’est pour moi et mon équipe une surprise agréable. Ce travail, je le fais avec une équipe qui est soudée, fortement engagée depuis janvier 2019. Nous avons endurés beaucoup de choses ensemble, de la dépression, du stress. Nous avons bravé des menaces. Pour moi et mon équipe, c’est donc une surprise agréable qui vient aussi traduire une reconnaissance faite au travail que nous accomplissons nuit et jour pour protéger les populations civiles, secourir la veuve et l’orphelin.
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Que représente ce prix pour vous ?
C’est un prix destiné à récompenser les défenseurs des droits humains qui s’illustrent par leur engagement et détermination pour secourir les populations civiles et soutenir l’effort qui est fait pour la protection des droits humains. Ce prix est donc un élément important qui va renforcer notre engagement, qui va aussi nous permettre de grandir en termes de renforcement de capacité et de visibilité ; et en termes de don de soi.
C’est une invite à plus d’engagement. Une interpellation à plus de stratégique, de méthode, de rigueur pour être utile aux populations civiles qui mènent un combat de survie. On doit encore plus s’illustrer dans le plaidoyer, dans les initiatives de dialogue et de médiation entre les communautés. J’espère aussi que ce prix va inspirer d’autres jeunes leaders à s’engager qualitativement pour le bien-être de la population burkinabè sans exclusive.
Selon vous qu’est-ce qui a pu convaincre le jury à porter son choix sur vous ?
Je n’ai pas les critères du jury qui est composé d’hommes et de femmes de référence internationale, qui regardent, scrutent à la loupe tous les acteurs qui s’illustrent sur le terrain. Ils suivent avec grande attention ce qui se passe dans les pays du sahel, particulièrement au Burkina Faso qui est actuellement secoué par l’insécurité avec près de 2 000 000 de populations déplacées. Quand on prend les pays du Sahel, le Burkina à lui seul a 83% des déplacés, la situation est donc dramatique pour notre pays.
A côté de cela, il y a plus de 3000 écoles qui sont fermées, cela fait près de 13% et un enfant sur 5 dans ce pays ne peut plus aller à l’école, c’est énorme. Quand on voit aujourd’hui l’explosion des questions de violences basées sur le genre, ces jeunes femmes et filles qui sont régulièrement agressées sexuellement, je trouve qu’il y a de quoi s’inquiéter sur la situation de notre pays, surtout depuis l’engagement des civils armés dans ce conflit qui endeuille les populations tous les jours.
Au regard de tout cela, il y a assez d’indicateurs qui mérite qu’on observe attentivement ce qui se passe au Burkina. Au niveau du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), on s’est positionné depuis janvier 2019 comme une force, une voix discordante qui n’est pas dans cette monotonie qui laisse croire que tout va bien.
On a toujours lancé les alertes, tiré sur la sonnette d’alarme pour dire de faire attention parce que c’est un piège, la guerre entre les communautés, entre les ethnies, c’est quelque chose qu’il faut travailler à éviter à notre pays que nous aimons bien. Nous avons toujours dit qu’il faut prôner la justice, les droits humains, et en la matière, l’implication des milices ne favorise pas la paix. On a souvent été mal compris, souvent soutenus. Mais ce prix vient témoigner que notre engagement n’est pas vain, nos appels ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd.
Engagé depuis quelques années contre la stigmatisation des communautés, vous avez souvent été critiqué pour vos prises de position dans la lutte contre le terrorisme. Est-ce que ce prix international vous conforte dans votre lutte ?
Ceux qui nous suivent depuis quelques années maintenant savent qu’on a très souvent été mal compris parce qu’on ne veut pas entendre d’autres voix que celle qui dit : quel que soit le prix, il faut lutter contre le terrorisme. Il y en a qui sont prêts à raser des villages espérant obtenir la paix. Nous, nous avons toujours dit que sans la justice, les droits humains, c’est difficile d’obtenir la paix.
Et l’implication des milices ou des civils armés est un facteur d’aggravation du conflit. Pour moi, ce prix est en réalité le prix de la constance, surtout quand on sait que dans nos pays, en termes de militantisme, certains sont souvent fragiles, ne tardent pas à céder, à tomber sous le coup de la corruption. Mon équipe et moi estimons que c’est un effort collectif qui a été récompensé.
Il faut aussi féliciter les hommes de médias qui n’ont jamais hésité à relayer nos messages, et c’est grâce à eux que nos voix sont entendues et ont de l’impact aux plans national et international. Donc ce prix est à mettre à l’actif de tout le monde. Il y a encore beaucoup à faire ensemble.
A qui dédiez-vous cette distinction ?
Je le dédie à toute mon équipe, à toutes ces personnes ressources, à tous ces hommes et femmes de médias qui courageusement ont accepté affronter la situation avec moi. Il faut reconnaitre qu’il y a des hommes de médias, des journalistes sérieux et engagés, sincères qui ont accepté mené ce combat à nos côtés.
Je pense aussi à ces organisations de défense des droits de l’homme qui sont restées aussi déterminées. Je dédie ce prix à tous ces démocrates et Burkinabè qui rêvent d’une république où la négation de l’autre n’a pas sa place. Je pense à tous ces hommes et femmes qui n’arrivent plus à dormir chez eux parce que chassés par les forces du mal qui endeuillent notre pays tous les jours.
Entretien réalisé par Tiga Cheick Sawadogo