Burkina : Sud-Ouest, l’or ou la mort… (1/4). Quelques semaines après la déflagration de Gongombiro qui a fait officiellement 63 morts, nous étions au Sud-ouest, deuxième région d’exploitation artisanale de l’or au Burkina. Même après ce drame d’ampleur, les orpailleurs ne continuent de jurer que par cet explosif, utilisé pour dynamiter les roches, qu’ils disent indissociable de l’orpaillage. Il est pourtant officiellement interdit.
Une scène de chaos à perte de vue. Sur le site d’orpaillage de Gongombiro, 15 km de Gaoua, le temps s’est arrêté. Des amas d’ordures raclés par un Caterpillar et entreposés çà et là. Un tricycle calciné. Une moto incrustée dans un arbre. Des sacs remplis de cailloux abandonnés. Le bruit des morceaux de tôle sur les branches d’un arbre noirci. Sur les lieux déserts et comme hanté, un groupe de militaires veille.
L’un des importants sites d’orpaillage de la région du Sud-ouest n’est donc plus que l’ombre de lui-même. Tout serait parti d’un incendie à proximité d’une boutique où étaient stockés des engins explosifs. Plusieurs sources affirment avoir entendu des détonations à plusieurs dizaines de km de là. « Il semble qu’à 20 km des gens ont entendu du bruit », raconte Lassané Zongo, rescapé. Le bras toujours dans du plâtre, des plaies sur le ventre, ce jeune père de famille, commerçant sur le site, est encore sous le choc.
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Il raconte n’avoir entendu qu’un vent soufflé, avant de s’écrouler. Sur le faraway qui serait à l’origine de la déflagration, il se veut prudent, mais n’écarte pas cette éventualité. « (…) c’est ce que les gens disent, c’est mon voisin, mais je ne savais pas (…) si je savais, je n’allais pas m’arrêter. Je suis commerçant, je ne rentre pas dans les trous. Mais on sait que ce n’est pas bon », poursuit celui qui travaille sur le site depuis 2009.
Bien introduit dans le milieu de l’orpaillage où il exerce depuis plusieurs décennies, un orpailleur sous le couvert de l’anonymat nous confie que le propriétaire des explosifs «a creusé une fosse qu’il a cimentée, avant de mettre le faraway pour ensuite déposer des cailloux sur la dalle » et quand l’incendie s’est déclaré sur le site, la chaleur a fait sauter tout le stock.
Sans faraway, pas d’or ?
Au Nord-ouest de Gaoua, Djikando abrite un site d’orpaillage. Nous passons par le comptoir, en réalité un immense bidonville composé de cahutes. C’est là que se trouve le marché, les restaurants, le site de broyage et de lavage des pierres. Pour accéder au site d’extraction, il faut marcher environ 3 km entre les excavations à perte de vue.
Assis dans un périmètre entouré de grillage et où sont entreposés des sacs rempli de cailloux, Souleymane Nacanabo, «propriétaire de trous d’or», devise avec ses camarades. Grosse chaine au cou, des gourmettes autour des bras, les cheveux hirsutes, il n’évite pas le sujet.
« Quand on parle d’or ou de mine, on parle de faraway. On ne peut pas chercher l’or sans faraway. Si on arrête de travailler avec le faraway, c’est qu’on va arrêter le travail de l’or. Si on arrête d’exploiter l’or aussi, c’est le Burkina même qui ne va plus fonctionner (…) c’est l’or qui domine », argumente-t-il avec enthousiasme.
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Cet argument, ses camarades le reprennent en chœur. Mahamadi Rouamba nous présente sa carte de membre du syndicat national des exploitants miniers. « Sans cela, on ne peut pas travailler. (…) avant les gens utilisait le feu, ils brulaient la roche dure, et c’était encore plus dangereux. C’est le faraway qui a remplacé ce système », clame-t-il.
« J’ai perdu un ami dans une explosion »
L’allure svelte, la voix calme, Moussa Sawadogo est membre du comité de gestion du site de Djikando. La dangerosité de cet explosif ne souffre pas débat, reconnait-il. Dans une galerie, il y a plus de 20 ans, il dit avoir frôlé la mort. « Certaines personnes ne sont pas prudentes. Il faut être attentif, prudent, avoir les yeux clairs pour manipuler le faraway. A la moindre erreur, tu es parti. Il y a des gens qui prennent des substances et qui ne sont pas lucides », explique l’orpailleur. Il nous confie que sur tous les sites d’orpaillage, le faraway est utilisé.
Il y a 5 ans, Sib Sansan a perdu un ami dans une gallérie quand ils s’affairaient à poser des explosifs. Lui s’en est sorti, mais porte désormais des séquelles. « Je ne veux plus revenir sur ça », coupe-t-il quand nous lui demandons les circonstances de cet accident mortel. A Gongombiro, Lassané Zongo a aussi perdu des amis, des proches. Toujours sous le choc, avec des problèmes d’ouïe, lui également ne veut pas en parler, son visage s’assombrit d’un coup.
Corruption et laxisme sur toute chaine
La loi ne bégaie pourtant pas sur l’usage des explosifs sur les sites d’orpaillage. Les drames à répétition avaient amené le législateur à trancher. La loi n° 051-2017/an portant fixation du régime des substances explosives à usage civil est claire. « Est puni d’une amende de dix millions (10 000 000) à cent millions (100 000 000) de francs CFA et d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque utilise des explosifs sur un site d’exploitation artisanale ; exception faite des structures habilitées de l’Etat ».
Sansan Sib se convainc que la chaine d’importation et de vente du faraway est comme une nébuleuse. « A Doudou on savait qu’il y avait un dépôt de faraway. La sécurité vient, fait des perquisitions, mais personne n’est arrêté. Où est-ce que ce produit a quitté pour se retrouver là ? Quand tu arrives sur un site et que tu veux acheter faraway, on t’indiquera, mais pourquoi la personne n’est inquiétée ? », S’interroge le jeune homme.
Peut-on parler de corruption de l’importation frauduleuse jusqu’à la commercialisation ? Sib Sansan en est convaincu et le martèle : « Depuis l’extérieur jusqu’ici, tout le réseau est corrompu en fait. Il y a quelqu’un qui ne fait pas son travail à quelque part, c’est clair. Même demain, si c’est ainsi il va continuer à faire des dégâts. La corruption a pris les devants, ce n’est pas moi qui le dis, c’est ainsi ».
Pour éviter un autre Gongombiro, des orpailleurs préconisent une meilleure règlementation et la formation de personnes pour l’utilisation du faraway.
Tiga Cheick Sawadogo