Le mirage de l’or. A seulement 28 ans, Pierre Sawadogo se retrouve déjà à faire le bilan de sa vie. Quand juste après l’obtention du Certificat d’étude primaire (CEP), il se rue vers les montagnes, il n’a qu’un espoir : faire fortune. Aujourd’hui, il nourrit bien de regrets d’avoir abandonné ses études, de n’avoir pas trouvé le bon filon, de n’avoir pas appris un métier, et surtout d’avoir une santé fragilisée par tant d’années à croiser le fer avec la roche au Burkina et dans d’autres pays.
Le physique est frêle, les lèvres noircies par la fumée de la cigarette. Le pas lent, la parole calme, il cache derrière ses lunettes noires qu’il porte permanemment, des yeux malades et larmoyants : conséquence d’un accident dans une galerie, quand un explosif (faraway) a soufflé dans ses yeux.
L’air fatigué, Pierre Sawadogo ne fait pas son âge. On lui donnerait 35 ans, voire plus. Et pourtant le bonhomme n’a que 28 ans. Natif de Mogtédo dans la région du plateau-central, il nous sert de guide pendant quelques jours alors que nous y séjournions pour une série de reportages.
Au moment où nous nous préparons à prendre congés de lui, il se fait insistant pour qu’on lui tende le micro. A plusieurs reprises, il nous fit la requête sans que nous ne la prenions au sérieux. « Je vous accompagne pour interroger les gens mais vous ne m’interrogez pas moi. J’ai aussi des choses à dire », clame-t-il. Nous finissons par céder.
Une déscolarisation précoce
Les portes de la classe de 6e sont restées inaccessibles au jeune Pierre qui venait pourtant de décrocher son CEP. Malgré une santé fragile durant toute l’année scolaire, il avait réussi son examen. Mais, c’est son frère qui décide de l’arracher des bancs de l’école pour l’installer dans les montagnes. « Il travaillait sur un site d’orpaillage à Mankarga. Il a décidé que je ne devrais pas poursuivre les études et m’a amené pour que j’aille travailler avec lui. Il a juste informé le papa », se rappelle l’orpailleur.
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Mais comme pour partager la responsabilité, il reconnait que lui également n’y avait pas trouvé d’inconvénients à l’époque. Il y voyait là, une occasion d’améliorer sa condition. « J’avoue que j’étais content. Tout simplement parce qu’en ce moment, mon frère travaillait avec des enfants qui n’étaient pas allés à l’école. Quand il y avait une fête, il achetait des nouveaux vêtements pour ces derniers et moi je les enviais », reconnait le père de deux enfants.
C’est ainsi que commence la vie d’orpailleur pour notre guide. Tellement jeune, son travail sur le site consiste à aller puiser de l’eau qui sert à laver la poudre de cailloux concassés d’où est extrait le métal précieux. « Je ne pouvais même pas vider un sceau d’eau dans la barrique traquée par une charrette, parce que c’était plus haut que ma taille », précise-t-il.
Près de 20 ans de recherche du bon filon
De Mankarga dans le Ganzourgou, Pierre a depuis parcouru plusieurs autres sites d’orpaillage à travers le pays et même au-delà : Komtoèga, Matiakoali, Tiébélé, Nobssin, Borgo, Kogo, Côte d’Ivoire et au Mali. Actuellement émancipé de son grand frère, il est même copropriétaire d’une galerie avec un ami. Il finance ainsi les repas des 5 travailleurs dans l’espoir que le bon filon sera bientôt trouvé.
En attendant, c’est la tristesse sur le visage de Pierre quand il fait le bilan de ces près de 20 ans dans l’orpaillage. « Certains gagnent, d’autres comme moi, pas encore », résume-t-il d’une petite voix. Son plus grand gain, ce sont les 2 300 000 F CFA obtenus en Côte d’Ivoire.
La fortune se fait toujours attendre, alors que sa santé se détériore. Et le risque est toujours aussi présent comme au premier jour.
Et cela, Pierre en est conscient mais pour lui, cela est inhérent à la vie d’un orpailleur. « Quand je me rappelle toutes ces personnes que j’ai perdues, ça me fait peur. Mais je ne suis pas encore sorti de là aussi, je sais que je ne suis pas à l’abri », lâche-t-il comme par résignation.
L’heure des regrets
Le tandaogo (maître des montagnes en langue mooré, c’est ainsi qu’est qualifié un orpailleur) en regardant sa vie passée sur les sites d’orpaillage, nourrit bien de regrets. Il estime qu’il n’aurait jamais dû quitter les bancs de l’école ou du moins, aurait dû apprendre un métier pour se mettre à l’abri. Cette idée le rend encore plus triste quand il pense à ses camarades qui ont poursuivi leurs études et qui, selon ses propos, s’en sortent mieux que lui maintenant.
« Franchement, je me rends compte maintenant que je suis dans une vraie perte, mais c’est tard. Ceux avec qui j’étais à l’école, mes amis proches, sont des gendarmes, des policiers, des enseignants, des infirmiers. Nous ne sommes plus dans la même catégorie, même quand ils viennent ici, on ne peut plus marcher ensemble », raconte-t-il. Pourtant, il se rappelle que dans un passé récent, quand il revenait des sites avec une nouvelle moto, ses camardes l’enviaient et lui était fier. Certains même voulaient abandonner l’école pour le suivre dans sa chasse aux trésors. Mais ça, c’était avant.
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Totalement déçu de son aventure sur les sites d’orpaillage, Pierre ne conseillera cette option à personne. « Si mon enfant s’hasarde à dire qu’il veut travailler sur un site, on ne va pas s’entendre », note-t-il fermement. Il estime que pour lui, c’est tard d’apprendre un métier au regard de ses charges familiales. Chaque matin quand il se rend sur le site où il travaille, il a la gorge nouée, le cœur serré, cherchant une alternative. Mais qui sait ? Le site sur lequel il travaille peut bien lui sourire avec un bon filon qui lui fera oublier ses moments de galère et de profonde amertume.
Tiga Cheick Sawadogo