Dans la ville de Koudougou, 100 km environ de Ouagadougou, Sibi Zongo, déficient visuel, est célèbre pour sa légendaire maîtrise du ruudga, considéré comme le violon du peuple moaga. Après près de 40 ans de carrière, cet artiste souhaite initier les plus jeunes à cet instrument de musique, à travers l’organisation d’un festival.
C’est dans le maquis Palais Royal au quartier Issouka de Koudougou où il avait l’habitude de prester que nous retrouvons l’artiste Sibi Zongo. Il arrive, habillé d’une tenue traditionnelle. Les yeux sont cachés derrières de grosses lunettes noires. Dans sa main droite, son ruudga, violon traditionnel, devenu son fidèle compagnon, son meilleur ami. Le ruudga est un instrument fabriqué à l’aide une calebasse, qui sert de caisse de résonnance, un crin de cheval et du bois. Une baguette en forme d’arc, reliée aux deux bouts par un crin de cheval permet de produire la musique au contact du ruudga.
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Sibi Zongo n’a jamais vu le soleil du fait de son infirmité. Mais, cet instrument n’a aucun secret pour lui. A l’aide de ce petit arc, il se met à jouer de la musique en le frottant doucement sur le ruudga. Une mélodie emballante se dégage. De sa voix grave, vibrante mais maitrisée, Sibi Zongo entonne un chant plein de louanges, de métaphores et de proverbes. Dans le maquis, un jeune tout en buvant une bière remue la tête, visiblement conquis. Un autre claque des doigts avant de lancer : « ya soma » (c’est bien en mooré). « Ce chant, était juste un bonjour », explique Sibi Zongo d’un air taquin.
Le ruudga, un héritage familial
Orphelin depuis son plus jeûne âge, c’est auprès de son grand père, handicapé visuel aussi que le sexagénaire apprend à jouer cet instrument. « J’ai fait une partie de mon enfance à Vavoua en Côte d’Ivoire. Au décès de mon père, je suis venu auprès de grand père chez qui j’ai appris à jouer au ruudga. Il jouait au ruudga, j’écoutais. Petit à petit, j’ai appris à faire comme lui », raconte Sibi Zongo en tirant à chaque fois une bouffée de cigarette. Même s’il apprend aussi à jouer au tam tam, il préfère le ruudga.
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A la mort de son grand père, son protecteur et conseiller, il prend son destin en main. Muni de son instrument, il tourne dans les cabarets et maquis de la ville de Koudougou pour faire valoir son talent. Ce virtuose du ruudga séduit par sa voix savoureuse et sa maîtrise parfaite de l’instrument. Sa rencontre avec Boureima Kaboré, son manageur actuel, il y a une vingtaine d’années change le destin de Sibi Zongo. Des spectacles de cabarets aux prestations lors de fêtes traditionnelles à Koudougou, le maître du ruudga est invité dans plusieurs concerts d’envergure nationale. Le public burkinabè découvre avec admiration Sibi Zongo dans une collaboration musicale avec le rappeur Smockey.
Initier les jeunes
Mais, malgré son talent et sa notoriété, Sibi Zongo n’a aucun moyen de sortir un album. L’artiste n’hésite pas à crier son désarroi partout où il peut. Sa voix est finalement entendue. Grâce à des bonnes volontés, il sort en septembre 2021 l’album « Dunia ». Dans cet album, l’artiste lance un appel à la cohésion sociale. Après cela, Sibi Zongo peut lancer un ouf de soulagement : Il se sent désormais artiste plein. « Nous espérons qu’avec la sortie de l’album, l’artiste sera mieux vu à l’international. Il n’est jamais tard pour mieux faire. On va se battre », promet Boureima Kaboré.
En terroir moaga, le ruudga est souvent perçu comme un instrument mystique et mythique dont seuls les déficients visuels ont la maîtrise. « Ce n’est pas vrai », répond d’un ton vigoureux Sibi Zongo. Il rappelle l’existence de joueur de ruudga dans la cours de certains chefs coutumiers.
Pour faire tomber ce préjugé, Sibi Zongo rêve d’une chose : organiser un festival pour initier les jeunes et les aider à comprendre le sens et les codes de ce savoir ancestral.
Boukari OUEDRAOGO