Burkina Faso, le football féminin en quête de reconnaissance… (2/5) La qualification historique de l’équipe nationale du Burkina Faso à sa première Coupe d’Afrique des nations (CAN) féminine s’est réalisé grâce à de nombreux sacrifices. Cette qualification ne cache pas les nombreux problèmes dont souffre le football féminin: un manque de soutien financier, de visibilité et d’organisation.
L’affaire a fait couler encre et salives. Quatre mois après la qualification historique de l’équipe nationale à la Coupe d’Afrique féminine, l’équipe burkinabè n’avait perçu aucune prime. Lorsque l’affaire a été portée au grand public, le gouvernement a décidé d’octroyer une prime de 600 mille francs CFA à chaque joueuse. Une somme que les joueuses ont refusé, car jugée dérisoire. En comparaison, les joueuses du Togo, également qualifiée pour la première fois ont reçu chacune une prime de qualification de cinq millions de francs CFA.
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Cette affaire a révélé la partie visible de l’iceberg de la précarité dans laquelle végète le football féminin au Burkina Faso. « Le football féminin n’est pas assez soutenu. Quand vous faites la comparaison avec le football masculin, il y a une grande différence », fait remarquer Martin Wepia, fondateur de l’Association burkinabè pour la promotion du sport féminin (ABPSF). Son équipe évolue en deuxième division. Mais, l’homme connaît bien les réalités puisqu’il fait partie des pionniers. En effet, la subvention accordée au football féminin est de cinq millions de francs CFA pour les équipes de première division contre 17 millions de francs CFA pour les hommes en première division.
Football?? : Prime de misère, les étalons dames n’en veulent pas.
.300 000 CFA : prime de qualification
.100 000 : prime pour un mois de regroupement
.200 000 : prime de sélection pour la CAN.
.Total : 600 000 CFA. pic.twitter.com/esFJfKVqb6— ?? ????? (@Bibra39) June 23, 2022
Pourtant, il n’y a aucune différence concernant les dépenses. « La paire de chaussure est au même prix. Si vous achetez un ballon à sept mille francs CFA pour les hommes, c’est au même prix que vous achetez un ballon pour les femmes », insiste Véronique Yonli, entraîneuse adjointe de l’équipe nationale féminine. C’est pourquoi, elle milite pour une équité.
« Ce sont des primes et non des salaires »
Hormis les joueuses de l’US Forces armées (USFA) et celles des Etincelles, les autres formations ne proposent aucun contrat aux joueuses. Celles-ci doivent se contenter des primes de matchs qui n’existent pas souvent. Albert Somé, président de Elite sport de Ziniaré, club de deuxième division, dit en avoir honte. « Ce que nous donnons aux filles, ce sont des primes et non des salaires. Les primes, c’est en fonction des résultats. Quand elles perdent un match, il n’y a pas de primes, regrette-t-il avant de préciser, les salaires sont réguliers qu’elles gagnent ou pas. Les filles ne peuvent pas compter sur les primes pour faire un planning ».
Un autre exemple qui décrit bien les disparités, le vainqueur de la Coupe du Faso chez les hommes empoche la somme de dix millions de francs CFA. L’équipe victorieuse chez les dames reçoit un million de franc CFA. Dix fois moins ! Le ministère des sports et des loisirs octroie chaque mois, une bourse de deux millions de francs CFA aux 16 équipes de première division soit 480 millions de francs CFA pour toute l’année.
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Cette subvention spéciale permet aux dirigeants de clubs de compléter les salaires des joueurs. Les filles ne bénéficient pas d’une telle manne. Albert Somé espère une équité à ce niveau. « Je ne dis pas de donner la même chose. Mais, c’est de faire en sorte que chaque fille puisse avoir une bourse de 25 mille francs CFA. Cela va booster notre football », assure, le président de club.
En outre, les joueuses déplorent le manque de visibilité du championnat national féminin. Les compétitions se disputent les samedis matin à 7 heures. A ce moment-là, difficile de compter sur la présence du public constate Charlotte Millogo, capitaine de l’équipe nationale féminine. « Nous n’avons pas le soutien du public puisque quand on voit dans nos championnats, les gradins sont vides. Il y a seulement quelques footballeuses et des dirigeants qui sont dans les gradins pour nous soutenir », affirme d’un ton amer Charlotte Millogo.
« Un choix que je devais assumer »
La Ligue de football féminine, instance chargée d’organiser le championnat national féminin présidée par Annick Pickbougoum explique cette programmation pour des raisons académiques. La plupart des joueuses sont des élèves et des étudiantes. En programmant un match le samedi matin, elles ont la possibilité de jouer et reprendre le car le lendemain dimanche pour être en classe le lundi.
Justement, le système éducatif au Burkina Faso ne tient pas compte du calendrier sportif. II faut souvent choisir entre sa passion et les études. Si au lycée tout se passait bien pour Balguissa Sawadogo, son cas s’est compliqué à l’Université. « Au lycée mon équipe justifiait les absences mais on vous donnait pas de points puisqu’on reprenait les devoirs manqués normalement. A l’Université, tu as le choix de venir ou pas mais tu vas composer avec les autres. Là, il n’y a pas de justificatif. Chaque fois que tu as raté un devoir, tu avais zéro. Il n’y a pas de justification », déplore celle qui joue aussi en équipe nationale ». Albert Somé conseille de suivre l’exemple du Maroc. « Ils ont mis en place des centres sports-études qui fonctionnent bien », précise-t-il.
Balguissa Sawadogo a su quand même tirer son épingle du jeu. Elle vient de soutenir une licence en marketing et s’apprête à s’inscrire pour un master. Néanmoins, elle a dû travailler deux fois plus que les autres : « C’est difficile. Après les entraînements, il faut bosser. Alors que lorsque tu rentres, tu es fatiguée. Il faut beaucoup de concentration pour réussir. Il y a déjà des profs qui m’ont dit que c’est un choix que j’ai fait et que je devais assumer ». C’est dans la rue, au milieu de jeunes garçons, que Balguissa et d’autres camarades ont appris à jouer au football. Il n’existe pas de centre de formation pour les filles contrairement aux hommes.
La formation à la base
Pascal Sawadogo entraîneur de l’équipe nationale féminine et de l’équipe des Etincelles vainqueur de la Coupe du Faso en 2021 détecte et forme les jeunes filles dès la classe de sixième alors qu’elles ont entre 11, 12 et 13 ans. Sur ses propres fonds, il prend en charge une partie des frais de scolarité, des fournitures scolaires etc. des élèves. Mais, ce travail semble vain car les filles au bas âge n’ont pas de compétitions.
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« Il y a des filles qui ont le talent mais le temps de pratique est faible. Du coup, elles se reposent plus qu’elles ne jouent. Le championnat est fini depuis le mois d’avril. Il faut attendre octobre pour reprendre la compétition. Cela fait huit mois de repos. Du coup, si vous ne jouez pas beaucoup, les filles ont le temps de prendre du poids », regrette Pascal Sawadogo. Pour lui, il est obligatoire d’organiser un championnat des petites catégories réservé aux filles.
En plus de commencer tard la compétition, les filles ont une carrière courte par rapport aux hommes explique avec indignation Véronique Yonli, sélectionneuse adjointe : « Dès qu’il y a la maternité, certaines filles abandonnent le football. On a eu d’excellentes joueuses qui ont dû abandonner après juste une maternité ou tout simplement après le mariage ».
Pour le coach Yonli, si le football au Burkina Faso de façon générale et féminin en particulier bénéficie d’une organisation professionnelle, certaines filles pourraient en faire un métier à plein temps. Les acteurs espèrent également qu’un bon parcours à la CAN 2022 au Maroc va encore plus attirer l’attention sur les conditions difficiles du football féminin au Burkina Faso.
Boukari OUEDRAOGO