Nathalie, nom d’emprunt, à seulement 17 ans, se retrouve à se battre contre les cauchemars qui hantent son existence. Violée, et défigurée par son ‘’tonton’’, cette ressortissante de Bourasso, dans la région de la Boucle du Mouhoun, a aussi perdu sa sœur dans l’agression, alors qu’elles étaient parties chercher du bois de chauffe en brousse. Un fardeau qu’elle doit porter presque seule sur ses frêles épaules. Un supplice physique et psychologique. Nathalie vit désormais en tant que déplacée interne.
Au milieu des femmes de l’Association Sinia Sigui (du dioula, préparer son avenir), Nathalie semble perdue. Impassible aux causeries bruyantes et rires aux éclats des femmes, la jeune fille de 17 ans garde un calme pétrifiant, avec un regard hagard. Déplacée interne originaire de Bourasso, dans la commune de Nouna à 45 kilomètres de la ville de Dédougou, Nathalie est repérable parmi 1000 femmes.
Son visage porte les empreintes, souvenir d’un jour qu’elle donnera tout pour effacer de sa mémoire. Sur sa joue droite, on peut apercevoir une longue balafre large et profonde. La victime a également perdu son œil droit et plusieurs dents. C’est une fille timide, à la limite fuyante qui nous confie son histoire, encouragée dans ce difficile exercice par sa mère.
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En mai 2022, alors qu’elle part chercher du bois de chauffe en brousse, accompagnée de sa sœur, Nathalie tombe sur une connaissance qu’elle appelait affectueusement ‘’tonton’’ au village. « Il nous a vues en premier, il a éteint sa petite radio qui jouait. Il se dirigea vers moi tout en enlevant son habit transformé en turban. J’étais en train de reculer en lui disant je te connais si tu me fais du mal j’irai dire au village. C’est là qu’il a répliqué qu’il n’allait pas me faire du mal. Il me demande qui je suis pour lui ? Je dis sa nièce », explique Nathalie la gorge enrouillée.
Pendant qu’elle reculait, peu rassurée par son ‘’tonton’’ qui avançait avec visiblement de mauvaises intentions, Nathalie trébuche et tombe. « A partir de cet instant, il a fait ce qu’il voulait de moi avant d’utiliser sa machette qu’il tenait contre moi », se remémore douloureusement la jeune fille, le regard lointain.
Une douleur de plus
Après avoir abusé de la victime et tailladé son visage, le bourreau continue sa basse besogne. Il s’en prend à la sœur de Nathalie qui malheureusement perdra la vie. Et ce n’est que plus tard, après avoir bénéficié de soins de première urgence à Dédougou que Nathalie apprendra que sa petite sœur n’a pas survécu aux coups et blessures.
Un autre choc pour la jeune fille de 17 ans qui en est venue à oublier sa propre douleur couverte dans de larges compresses au visage. « Quand j’étais à l’hôpital, les infirmiers m’ont rassuré que ma petite sœur n’est pas morte ; qu’elle est en soin dans une autre salle. Alors que non, elle était morte », se rappelle-t-elle.
Chaque jour est un combat à livrer, nous confie Nathalie qui avoue avoir perdu toute confiance en elle. Le jour, ce sont les regards moqueurs qu’elle doit affronter avec son visage privé d’un œil, défiguré par la balafre et sa bouche édentée. La nuit, ce sont les cauchemars, la hantise de sa sœur. « Quand je dors la nuit, j’ai très peur, j’ai l’esprit troublé et je sens la présence de ma sœur. Souvent, je vois du sang dans mes rêves et je crie pour que mon papa vienne m’aider », nous apprend-t-elle.
Marquée par ce jour qui a bouleversé sa vie, Nathalie vit avec la hantise. L’idée de brousse et de bois mort l’irrite et la met dans un état de dépression. « Aux filles qui partent chercher du bois en brousse, si tu vois un homme apparaître, il faut fuir. Il ne faut même pas te dire que c’est un parent, il faut fuir de toutes tes forces », conseille la victime avant d’ajouter que son souhait le plus ardent est que ce qui lui est arrivé ne se répète plus pour une autre fille.
La souffrance d’une mère impuissante
Membre de l’Association Sinia Sigui (du dioula, préparer son avenir), la mère de Nathalie espère bien un meilleur avenir pour sa fille. Mais en réalité, elle-même est déchirée par le supplice de son enfant. La quarantaine environ, c’est une mère désespérée malgré les apparences pour ne pas laisser transparaître ses émotions. Après avoir tenté de mettre fin à ses jours, se demandant pourquoi le sort s’acharne sur ses enfants, elle s’est reprise. Mais les mêmes questions lancinantes et sans réponses l’assaillent.
« J’ai peur de fréquenter les gens maintenant. Je pense à ma fille décédée de façon fortuite et qui n’avait que 12 ans. Je me demande également comment je vais vivre avec cette fille malade, qui n’a plus de dent, ni son œil. Comment va-t-elle trouver un mari ? », enchaîne-t-elle, avec une voix teintée d’impuissance. Pour la mère de désormais quatre enfants, chaque sortie de ses rejetons crée la panique jusqu’à leur retour.
La situation de déplacés en plus…
Depuis quelques mois, Nathalie et sa famille vivent loin de leur village, poussées sur les routes de l’exode par les radicaux armés. En plus de vieux démons qui les hantaient dans leur bourgade, la petite famille fait désormais l’amère expérience de la vie dans le dénuement presque total, en l’absence du chef de famille. « Quand nous sommes arrivés à Dédougou, mon mari nous a laissés. Il ne s’occupe pas de nous. Je me retrouve seule avec les enfants ; même pour avoir à manger, c’est compliqué pour nous », précise avec impuissance la mère de Nathalie qui, pour ramener quelque chose à manger, travaille comme ouvrière agricole dans des champs.
Justice a été dite pour Nathalie et sa sœur. Leur bourreau a été emprisonné. Traumatisée et dégoûtée de la vie, la jeune fille ne reçoit cependant, aucun suivi psychologique pour exorciser les souvenirs de ce jour qu’elle ne cesse de maudire. En levant le visage pour nous dire au revoir, elle laisse transparaître un sourire discret, comme si elle était soulagée de partager un tant soit peu sa peine. Un léger sourire qui sonne comme une lueur d’espoir pour une victime qui dit avoir foi en un avenir où elle aura réussi à dompter ses peurs, apprivoiser son traumatisme, sourire à la vie malgré ses stigmates.
Awa Mouniratou Tankoano