Le bonheur était à ses pieds. Mais il a traversé le désert pour tenter d’aller le chercher en Italie. Peine perdue. Il s’est limité à la Lybie. Mais avant, il était passé par le Sénégal, la Guinée Equatoriale. Finalement, Issouf Dabré, 32 ans, s’est résolu à se réaliser chez lui. Sur les terres de Bagré, dans la région du Centre-Est du Burkina, il exploite une plantation de banane de 4 hectares avec plus de 8 millions de Francs CFA de chiffre d’affaires par an.
Barbe fournie, vêtu d’un tee-shirt, machette en main, Issouf Dabré se faufile entre les pieds de bananiers. Les mauvaises herbes succombent au passage de la machette, pendant que les feuilles mortes accrochées aux troncs des bananiers finissent au sol. Entre deux de coups de machette, le producteur tout en sueur se redresse et d’un geste de la main, présente sa bananeraie qui s’étend sur une superficie de 4 hectares.
« C’est ici que j’ai appris à travailler la banane. J’ai commencé avec 0,5 hectare, sans véritable formation. C’est par la suite que nous avons bénéficié d’une formation de deux semaines avec Bagrépôle. Après cela, on a augmenté nos superficies, avec l’accompagnement d’une caisse populaire. Aujourd’hui, j’exploite 4 hectares et j’ai six ouvriers qui travaillent avec moi », résume le producteur de 32 ans.
Ancien migrant
Quand Issouf Dabré parle de sa vie d’avant, il s’en moque presque. Il y a quelques années, son rêve le plus ardent était d’aller faire fortune en Italie. La région du Centre-Est est reconnue pour avoir une forte diaspora dans cette partie de l’Europe. Pour réaliser son vœu, il a dû prendre des risques les plus insoupçonnés.
En 2008, avec des amis et d’autres camarades, il a traversé le désert au sens propre comme au sens figuré. Dans les sables mouvants, il a vu sa vie basculée à plusieurs reprises. Il passe par le Sénégal puis la Guinée Equatoriale. Quand il arrive à atteindre la Lybie, il se rend compte que la traversée la plus difficile restait à faire. A la merci des passeurs et victime de comportements inhumains, il jette l’éponge.
Un lointain et difficile souvenir qu’il résume en quelques mots. « Je suis là, je ne parle plus d’aventure. Je ne suis plus dedans. C’est la souffrance seulement. On s’est rendu compte qu’il y a un meilleur travail chez nous ici », dit-il, le regard admiratif sur ses pieds de bananiers à perte de vue. C’est finalement en 2011 que le jeune Issouf Dabré fait son retour dans son pays. Il décide de travailler la terre, sur les terres de Bagrépôle.
« Après tous ces problèmes… »
C’est par le riz que Issouf commence. Après quelques années de pratique, il se rend compte que le travail dans les basfonds est éreintant, mais par-dessus tout, n’est pas très rentable. « C’est trop de dépenses et en plus, il n’y a pas de bénéfices. On récoltait 5 à 6 tonnes par hectare », explique-t-il, avec une mine renfrognée.
Il se tourne alors vers la banane. Cette option semble être la bonne. D’un demi-hectare au début, il passe à 4 en peu de temps. Et la raison est toute simple : il y a de l’argent à y gagner. « Avec la banane on peut se retrouver avec 50 tonnes à l’hectare. Il y a plus de bénéfices. Quand tu donnes bien à manger à la banane, elle te rend bien aussi. En investissant 4 millions par hectare pour les engrais et le gasoil (Ndlr. pour l’arrosage avec la motopompe en saison sèche ), on peut se retrouver 6,5 à 8 millions », poursuit ce homme marié et père de 6 enfants.
Inspirer et voir loin
La vie de producteur de bananes n’est pas de tout repos. Il faut être présent. Chaque matin, même quand on a un déplacement à effectuer, il faut passer dire bonjour d’abord à la bananeraie, caricature Hamado Dabré, président de la coopérative sougr-nooma (le pardon est bon, en mooré) des producteurs de bananes dont fait partie Issouf. Quotidiennement le jeune producteur prend ses quartiers sur ses terres pour ne les quitter qu’après 17h.
De nombreux Burkinabè travaillent dans des plantations notamment en Côte d’Ivoire. Pour y avoir fait cette expérience, en plus du Ghana, le président Hamado dit connaitre la souffrance qu’ils y endurent. Pour lui donc, rien ne sert d’aller chercher ailleurs ce qu’on a dans son pays. Son idée est partagée par Issouf qui estime que beaucoup de jeunes Burkinabè ne savent pas qu’il est bien possible de produire de la banane en quantité au Burkina et réussir.
Il espère que son cas servira d’exemple pour les migrants qui risquent leur vie dans des aventures périlleuses. Mais le jeune producteur regrette le manque d’accompagnement qui lui aurait permis d’étendre ses superficies et employer d’autres jeunes. Une demande de financement a été adressée à Bagré pôle. Elle est restée sans réponse jusque-là.
Tiga Cheick Sawadogo