Yafa est retourné voir Issouf Dabré, le producteur de banane à Bagré dans la région du Centre-est. Cet ancien migrant qui s’était reconverti dans le travail de la terre, garde son dynamisme intact, malgré les difficultés : cherté de l’engrais, manque d’accompagnement technique… Deux ans après, il ne regrette pas d’avoir renoncé à son rêve d’Europe.
Ce 5 avril 2024 peu avant 10h, deux maçons s’affairent dans la construction d’une maisonnette dans la bananeraie de Issouf Dabré. Lui-même donne un coup de main, pendant que la motopompe vrombit de l’autre côté de la plantation. A gauche de la plantation dans laquelle il nous avait accueillis, il y a deux ans, une autre commence à produire. Des régimes se forment.
C’est elle qui remplace progressivement la précédente exploitée depuis une décennie. « Le champ que j’utilisais en 2022 a été mis en place en 2014. Du coup en 2022, il fallait penser à renouveler parce que le champ devenait vieux et ne donnait plus de gros régimes », explique le maître des lieux qui ajoute que deux hectares ont été renouvelés, en attendant deux autres qui seront finalisés dans quelques mois avant la saison des pluies.
Une tonne de difficultés
Il y a deux ans, la bananeraie de Issouf était bien luxuriante et présentait un bien meilleur visage. Il se plaisait à se faufiler entre les pieds de bananier et de présenter des gros régimes. Nous ne sommes certes pas en saison pluvieuse, mais la plantation ne semble pas présenter une belle physionomie. La raison est simple, les bananes manquent d’engrais qu’il leur faut vraiment.
« Actuellement, nous utilisons l’engrais du riz. Du coup le rendement a beaucoup diminué. Si c’était l’engrais adapté à la banane, on serait loin en termes de production. On dispose de l’espace nécessaire pour agrandir la bananeraie. Mais la disponibilité de l’engrais nous freine. La production a beaucoup baissé, ce n’est plus comme avant », regrette le jeune producteur.
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A titre d’exemple sur l’impact du manque d’engrais adapté, il relève que quand tout allait bien que sa plantation avait ce qu’il lui fallait en termes de nutriment, il faisait 40 tonnes à l’hectare. Mais actuellement, il caracole avec moins de 20 tonnes sur la même superficie. « La différence est grande. Le poids des bananes même n’est plus pareil », résume-t-il, avec une expression du visage qui traduit une impuissance ou un dépit.
Selon l’ancien candidat à l’immigration irrégulière, l’engrais adapté à la banane, le 11 11 33, est commandé à la Compagnie industrielle de production agricole et marchande (CIPAM) à Bobo-Dioulasso, à plus de 530 km de là. Les coûts ont connu une hausse vertigineuse en l’espace de deux ans. « Avant nous achetions le sac entre 25000 et 28 000 F CFA. Actuellement, le sac d’engrais est à 45 000 F CFA. En plus, il faut commander en groupe pour minimiser le coût du transport. La CIPAM ne fabrique pas pour stocker, il faut commander avant qu’ils ne fabriquent, parce que c’est cher », poursuit-il.
Aucun regret malgré tout
Tous les voyants ne sont certes pas au vert deux ans après, mais il n’est pas question de regretter d’avoir renoncé à son ancien rêve d’immigrer en Italie. « Aller en aventure, en Europe, en Côte d’Ivoire, sur les sites d’orpaillage, je n’y pense plus. Ici, je rends grâce à Dieu. Tout mon espoir est dans cette bananeraie. Mes projets et tout se reposent sur ce champ », rassure-t-il avec conviction.
Si les prix de l’engrais continuent de grimper, il compte s’adapter, pas question d’abandonner. « Nous allons même diminuer notre superficie, maximiser sur deux hectares et faire en sorte que le rendement soit très important. Si y a des moyens ou de l’aide entre temps, on pourra continuer normalement », envisage-t-il.
Une foi inébranlable dans la banane
Comme il y a deux ans, Issouf Dabré reste convaincu dans la rentabilité de son domaine de production. Pour lui, la banane n’est pas ingrate. Mieux pour le producteur, c’est le domaine le plus rentable dans l’agriculture à condition, insiste-t-il, de s’y investir pleinement. « Si tu as deux hectares, tu investis deux millions dedans, si c’est bien entretenu avec beaucoup d’engrais, beaucoup d’eau, tout ce qu’il faut, en 9 mois de travail tu récupères ton argent avec beaucoup de bénéfices. Tu peux te retrouver entre 6 et 7 millions de F CFA. Vous voyez, entre celui qui est allé en aventure et toi qui est resté dans ta bananeraie, tu vaudras mieux que lui », se convainc le producteur.
Hamado Dabré, président de la coopérative sougr-nooma à laquelle est affilié Issouf est toujours aussi fier de son membre. Son dynamisme et sa hargne sont salués par le président qui plaide aussi pour un meilleur accompagnement de Bagrépôle. Selon lui, il faut encourager les jeunes comme Issouf à rester sur place pour travailler au lieu d’être tenté par l’aventure, pleine d’incertitude.
Tiga Cheick Sawadogo