À Manga, dans la région du centre sud, la maison communautaire pour jeunes filles est un petit îlot tranquille pour les études. Construite en 2010, elle accueille des jeunes filles vulnérables du post-primaire. Cet environnement qui leur offre sécurité et bien-être favorise leur sociabilité et surtout leur maintien et la réussite scolaire.
Dans un vaste espace clôturé au secteur 4 de Manga, c’est une scène qui peut dérouter le nouveau visiteur. Assises en groupe, certaines filles font griller de l’arachide pour en faire de la pâte. Un peu plus loin, un autre groupe est à la cuisine. Aujourd’hui, c’est le tô (pâte faite à base de farine) au menu. Debout, avec une grosse spatule en main, une jeune fille remue la pâte dans la marmite encore au feu. Une autre prend le relais, sous la supervision de deux dames.
Une scène ordinaire dans les grandes familles. Sauf qu’ici, nous sommes dans un semi-internat, la maison communautaire pour jeunes filles. D’autres pensionnaires retirées sous des arbres, devant des tableaux ou dans les salles d’études permettent de savoir que c’est un regroupement d’élèves.
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Unique au Burkina Faso, la maison a été construite en 2010. En ligne de mire, il s’agit de favoriser la réussite scolaire des jeunes filles, surtout vulnérables dont tant de boulets sont accrochés aux ambitions de réussite. Éloignement des grands centres où elles doivent poursuivre leur cursus, mariages forcés, agressions sexuelles, expositions à plusieurs vices dans la solitude… autant de défis à relever pour des adolescentes. La vulnérabilité n’est donc pas seulement le manque de moyens financiers, insistent les responsables du centre.
« Avant, les parents venaient chercher de petites maisons en location pour leurs filles en ville. Certaines restaient seules. Vous voyez les conséquences que cela pouvait engendrer. Il y a eu un moment où beaucoup de filles scolarisées sont tombées enceinte dans la ville. C’est suite à cela que l’UNICEF, ayant eu vent de cela a décidé de créer la maison », explique la directrice de la maison communautaire, Sabine Compaoré.
Par an, chaque élève apporte une contribution de 30 000 F CFA. En plus, il leur est demandé deux assietées de petit mil, deux assietées de haricot et une assietée de gombo sec.
Un refuge pour la maturité et la réussite
Originaire de Nobéré, commune située à environ 25 km de Manga, Sakinata Tapsoba est en classe de Tle au lycée scientifique régional du Centre-sud. Depuis trois ans, elle est pensionnaire de la maison communautaire. « C’est le lieu propice qui me permet de rester focus sur mes études. Si on allait prendre une maison en location, ça nous aurait coûté plus cher. En plus, si tu es chez toi à la maison, si tu n’as pas de moyens tu ne peux avoir de cours d’appui », se réjouit Sakinatou.
Emma Sandy Gouba est également là depuis trois ans. En classe de 3e, cette ressortissante de Pô, dans la province du Nahouri, avoue qu’elle n’avait pas du tout apprécié que ses parents l’éloignent. « Quand ils avaient décidé de m’envoyer ici, je n’étais pas du tout contente. Quand j’étais là-bas, je n’arrivais pas à prendre la vie au sérieux. Maintenant, dans les études, le comportement, je suis plus responsable. Les parents sont fiers de mes rendements scolaires », dit-elle, tout heureuse.
C’est également le cas pour Djénéba Barry, ressortissante de Ouahigouya. Pour elle qui n’était jamais sortie de la province du Yatenga, ce fut un choc d’apprendre qu’elle devait continuer ses cours à Manga. « Ici, nous sommes en sécurité plus que ceux qui sont en location en ville. Au début, quand j’ai appris que je devrais venir ici, je n’étais pas du tout contente. Mais une fois arrivée, je me suis vite intégrée avec les autres et on vit bien », précise-t-elle.
Bien plus qu’un centre d’hébergement
Les pensionnaires de la maison sont organisées en groupes pour effectuer les travaux domestiques et quotidiens. Chaque fille sait ce qu’elle doit faire du matin au soir. « A 5h du matin, on nous réveille. On nettoie les dortoirs, les douches, on balaie la cour, avant de s’apprêter pour aller à l’école. A 12h 45 on doit être là, sinon on fait l’appel et on prend les noms des absentes qui devront donner des explications. Le soir, à partir de 18h30, les portes se ferment », détaille Sakinata Tapsoba qui reconnaît que s’adapter à ce programme au début n’était pas facile.
Le programme se poursuit chaque soir. 19h30, fermeture de tous les dortoirs et présence effective de toutes les filles dans les salles d’études. Les plus jeunes étudient jusqu’à 21h30 pendant que les plus grandes sont autorisées à réviser au-delà de 22h. Un programme journalier qui peut paraître rigoureux, mais pour Abou Sombié, gestionnaire de la maison, cela s’explique. L’adolescence est un tournant décisif à prendre au sérieux, sous peine d’échouer sa vie et ses études. « A cet âge, on est révolté contre tout le monde, on ne sait pas forcément ce qu’on fait. Nous essayons de les préparer à la vie », justifie-t-il, ajoutant que les filles mangent ensemble, travaillent ensemble. Une manière d’apprendre à vivre en communauté.
Anne Marie, restauratrice de la maison depuis son ouverture, se positionne comme la mère de ces jeunes filles. Elle le dit avec une certaine fierté. « Elles sont beaucoup plus avec nous parce qu’on passe 9 mois ensemble, qu’avec leurs mères. Nous accompagnons d’une manière ou d’une autre leur éducation. Certaines enfants arrivent et ne savent même pas comment laver une assiette » , relève la cantinière.
Sous le poids des demandes
Chaque année, la maison communautaire de Manga s’illustre par ses bons résultats scolaires. Une bonne renommée qui crée une forte demande. Mais la directrice regrette la faible capacité d’accueil qui, en temps normal, est juste de 100 lits. Elle souhaite alors l’accompagnement des autorités et d’éventuels partenaires pour offrir plus de chance à d’autres filles.
Chargé à l’information de l’Association des parents d’élèves de la maison de jeunes filles de Manga, Inoussa Guenné se dit convaincu que si ce n’est grâce au centre, beaucoup de filles n’auraient pu terminer leur cursus scolaire. « Il y a des filles, si elles n’étaient pas venues à la maison communautaire, elles ne seraient pas allées loin dans les études. On les aurait mariées précocement», semble renchérir la directrice Sabine Compaoré.
Tiga Cheick Sawadogo