Pendant que les clients se plaignent de la cherté, les vendeurs se justifient par la rareté. Cette année encore, le mouton de la Tabaski a un goût amer. En toile de fond de ces complaintes : la situation sécuritaire. Les villages d’où sont généralement convoyés les moutons vers les grands centres urbains sont difficilement accessibles quand ils n’ont pas simplement été déguerpis sous la pression des groupes armés. Tour des marchés de bétail de Ouahigouya dans le Nord et à Kaya dans le Centre-Nord à quelques jours de l’Aïd-El-Kébir.
Le marché de bétail de Ouahigouya bat son plein en cette matinée. Sur ce grand espace dépourvu de hangar et d’arbre, la violence des rayons solaires n’entame pas la détermination des vendeurs à profiter de ces moments pour faire de bonnes affaires à l’occasion de la Tabaski.
Entre vendeurs et acheteurs, les discussions sont parfois longues discussions et sans conclusion. Dans un environnement où se mêlent le brouhaha des hommes et les cris des animaux, Assami Guiro surveille ses moutons. Depuis deux jours, il dit attendre un potentiel client, en vain.
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« Voici un bélier ! Son prix, c’est 175 000. Avec un rabais je te le donne à 170000f. Son dernier prix, tu peux l’avoir à 110000 F cfa. Je ne peux pas faire moins que ça. Tous les trois que tu vois, c’est le même prix. Il n’y a pas de mouton de 77 500f ici », lance-t-il à Boureima qui inspecte les bêtes avec envie.
Assami tente de vanter à Boureima la qualité de ses bêtes et surtout le prix « généreux» auquel il les vend. La stratégie ne passe pas. « C’est vraiment bizarre cette année, mais je sais que ça ira inch Allah », s’encourage-t-il.
À plus de 200 km de là, Kaya dans la région du centre-nord, c’est la même fièvre de la Tabaski qui s’empare du marché de bétail. La même ambiance, et surtout la même complainte chez les clients et le même argument de défense chez les vendeurs.
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En ce jour de marché, et après avoir flâné pendant plusieurs heures dans les différents recoins du marché de bétail, Abdoul Karim Zabré a enfin pu acheter son mouton. « Je l’ai eu 110 000 FCFA », dit-il, avant de préciser que les années précédentes pour un mouton de ce gabarit, il déboursait moins d’argent.
« Avant, les animaux venaient des localités environnantes, et en ce moment, leurs prix étaient abordables. Mais la situation que traverse le pays fait que maintenant qu’ils viennent par l’intermédiaire d’un convoi. C’est ce qui explique le prix élevé sur le marché », tente-t-il d’expliquer.
Ses dires sont corroborés par Rasmané Sawadogo, commerçant de bétail. Le marché est morose se désole-t-il. Montrant de la main, il nous fait que les moutons qu’il fait venir d’un village voisin se négocient entre 65 000 et 165 000 F CFA. « J’ai amené 15 animaux pour vendre, nous les achetons à Pissila pour revendre à Kaya, mais aujourd’hui, le marché se fait rare. Certains viennent pour demander mais ils n’arrivent pas à payer », constate le vendeur avec une certaine amertume.
L’onde de choc de l’insécurité
Dans cette ville qui accueille un très grand nombre de déplacés internes du pays, les acteurs du marché de bétail estiment que plusieurs citoyens sont plus préoccupés par des défis liés au logement et à l’alimentation plutôt qu’à s’offrir un mouton qui est un luxe.
« C’est la situation sécuritaire qui explique cela, parce que si tu ne travailles pas, il est difficile d’avoir de l’argent pour payer le mouton de la tabaski. Surtout quand tu es en situation de déplacement, tu n’as même de maison ni de nourriture n’en parlons pas de bélier de fête. Le marché était mieux l’année passée comparativement à cette année. La pression est forte dans certains villages, donc ces derniers n’ont pas cultivé, ils ont aussi vendu leur bétail », soupire Rasmané Sawadogo.
Pendant ce temps, au marché de bétail de Ouahigouya, Assane Ouédraogo rit seul et secoue de la tête. Un geste qui traduit un dépit après avoir tenté vainement de discuter du prix d’un mouton. « Je suis venu observer, mais pour l’instant les prix sont toujours élevés. Les années antérieures je payais pour 100 000 F cfa ; 110000 f cfa, mais pour le moment je n’ai pas vu d’abord ce que je veux », dit-il, s’apprêtant à enfourcher sa moto.
Il ne renonce pas. Loin de là. Il reviendra plus tard quand il jugera le moment opportun parce qu’« au dernier moment, il y aura plus de mouton et forcement le prix va chuter ». A Ouahigouya comme à Kaya et ce depuis quelques années, la situation sécuritaire aura une onde de choc sur la fête de Tabaski qui sera fêtée ce 16 juin 2024.
Studio Yafa