Il y a une dizaine d’années, le projet Bagrépôle voyait le jour dans la région du Centre-Est. Prévu pour être un gros vivier de production agropastorale et halieutique, il avait suscité beaucoup d’espoir pour l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire du Burkina. Des acteurs regrettent la sous-exploitation des potentialités mais espèrent un nouveau souffle avec l’offensive agrosylvopastorale et halieutique lancée par le gouvernement de la transition.
Devant ses gros fourneaux dans un quartier de Bagré, Awa Ouédraogo fume du poisson. Des carpes, des silures et d’autres types de poissons passent sur un fumoir amélioré. La matière première est fournie par des pécheurs qui officient dans le barrage de Bagré. Avant même le démarrage effectif du projet Bagrépôle, le poisson fumé était l’activité de Awa. Mais elle reconnaît que depuis l’arrivée du projet, son commerce s’est nettement amélioré et le visage de Bagré a changé.
« Bon, il faut dire que Bagré était un gros village. Quand le projet est venu, il y a quand même un changement. Ça a beaucoup aidé les gens. Avant, notre travail était vraiment archaïque, on fumait le poisson, mais ce n’était pas à cette échelle. Ils sont venus avec beaucoup de projets pour nous former. Sur plusieurs aspects: amélioration la qualité, gestion de l’argent, entrepreneuriat des femmes », explique la fumeuse de poisson. Elle estime par contre qu’elle attendait beaucoup plus du projet au regard du tapage médiatique qui accompagnait ses débuts. « Normalement le projet devrait être plus que cela. Son nom est trop sorti », dit-elle.
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Bagrépôle, ce sont des rizières à perte de vue, mais aussi des champs de maïs, de tomates, d’oignons, de bananes… Il faut aussi compter avec l’élevage de porcins, de volailles, la pisciculture. Il y a également la production d’agrumes. C’est justement dans une vaste étendue d’une plantation de tangelo que nous rencontrons Issouf Sanfo, gestionnaire du périmètre au nom d’une coopérative.
Lui également souhaite que le projet soit amélioré surtout dans son aspect soutien aux producteurs. « Cela fait plus de 10 ans que je suis là. Mais ce que je vois, entre le projet Bagrépôle et les producteurs, ça demande une amélioration. Je constate qu’il y a toujours des failles. Le projet est là pour les producteurs. Il faut de l’accompagnement technique et les choses vont aller en mieux », suggère-t-il.
Le producteur de tangelo dit connaître des producteurs de riz surtout qui n’arrivent plus à faire face à l’augmentation des prix des engrais, ce qui influe sur le rendement. « Pour cultiver le riz, il faut avoir des intrants comme l’engrais, les produits phytosanitaires à des prix subventionnés. Le travail du riz est basé sur ça. Je connais beaucoup de producteurs qui n’y arrivent pas parce que l’engrais est devenu cher », soupire-t-il.
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Chez les producteurs de banane également, c’est le même triste constat du manque d’accompagnement technique du projet. Dabré Hamado, président d’une coopérative de producteurs de bananes regrette que son regroupement n’ait jamais bénéficié d’une formation sur les meilleures pratiques de production de bananes depuis leur début en 2024.
Et depuis deux ans avec la flambée des prix des engrais, le projet n’a pas daigné les accompagner. « On commande de l’engrais depuis Bobo et cela nous revient très cher. On a fait le plaidoyer auprès de Bagrépôle de nous aider à avoir l’engrais sur place. Nous n’avons pas eu de gain de cause. On était obligés de diminuer nos superficies », maugrée le producteur.
Bagrépôle couvre trois communes : Bagré, Bitou et Bané. Pour la production végétale, le projet dispose d’un potentiel d’environ 20 000 hectares de terre. Les nouvelles autorités de la transition ont manifesté leur volonté d’insuffler une nouvelle dynamique au projet à travers l’offensive agrosylvopastorale et halieutique.
Une nouvelle vision dans la plaine
« Dans l’immédiateté, il est prévu qu’à compter de l’hivernage 2024 que la société mobilise et mette en valeur environ 10 648 hectares pluviaux. Cela viendra renforcer ce qui est fait chaque année et qui remonte à 5500 hectares », explique le Directeur général de Bagrépôle, Patarbtalé Joseph Nikiema.
Pour, il s’agira de renforcer la production du riz, du maïs, du blé et celle animale. Une offensive en laquelle le Directeur général croit pour redonner un nouveau visage au projet parce qu’il le reconnaît : Bagrépôle n’a pas exploité toutes ses potentialités.
« C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les autorités ont engagé ces réformes. Au niveau de la production végétale, c’est quasiment le ¼ de la superficie prévue qui est exploitée. Imaginer que nous puissions pousser la superficie ne se reste qu’au ¾ ça sera un bon apport pour la sécurité alimentaire. Sur le plan de l’aquaculture, notamment la pisciculture, nous avons ici, un centre l’élevage piscicole qui peut satisfaire une bonne partie des besoins en poisson du pays. Malheureusement, là aussi on se rend compte qu’il est exploité à moins de 10% de son potentiel. Imaginer qu’on puisse pousser à 80 voire 90%, ça sera un bon apport », récapitule le premier responsable de Bagrépôle.
Il précise aussi que la zone dispose d’une zone pastorale d’environ 16 000 hectares qui est malheureusement gérée de façon archaïque. « Si on arrive à trouver les voies et moyens pour que cette zone pastorale puisse fonctionner de façon moderne avec une production fourragère qui se fait correctement, cela pourrait éviter d’abord la transhumance et garantir que notre cheptel puisse avoir sur place , toutes les conditions pour se développer » espère Patarbtalé Joseph Nikiema.
Tiga Cheick Sawadogo