Déjà marqués par l’insécurité qui les a contraints à quitter leurs villages, certains parents doivent combler l’absence de leur conjoint.e dans les localités d’accueil. À Panzani, un quartier périphérique à la sortie nord de Ouagadougou, des hommes ou des femmes vivent cette situation. Seule (e) avec les enfants, la vie est défi à relever chaque jour. Une monoparentalité qui brise des stéréotypes.
Le soleil entame son déclin à l’ouest. À Panzani, dans les familles, le bruit des coups de pilon et la fumée que dégage le bois de chauffe rappellent que l’heure est à la préparation du dîner. Devant une cour sans portail, des femmes assises sur une natte, font la causette. C’est Oumou Salamata Sawadogo qui nous accueille. Le pagne noué à la hâte, le regard fuyant, elle nous installe sur de petits tabourets.
La ressortissante de Déou, région du Sahel, vit là depuis 8 ans et a, à sa seule charge, ses 5 enfants et deux autres personnes. Dans une maison de deux pièces, la vie est un combat quotidien qu’elle livre. « Mon mari et moi vivions depuis plus de 25 ans. Mais depuis 5 ans, il est parti et je ne l’ai plus revu », nous apprend-t-elle, sans l’once d’une complainte. Pour elle, son mari est « habité par de mauvais esprits » qui le pousseraient à s’éloigner de sa famille. Alors quand le benjamin Abdoul lui demande presque régulièrement où est son père, Oumou Salamata lui répond qu« qu’il est en voyage et qu’il va lui ramener un vélo et pleins de cadeaux ».
Lire aussi : les résidents de Panzani solidaires des déplacés internes
Aboubacar Boena, 36 ans, lui, appelle régulièrement sa femme au téléphone pour que les deux enfants puissent converser avec leur mère. Séparé d’avec son ancienne femme depuis 4 ans « pour des raisons de famille », il dit s’être adapté depuis à la situation.
« Je n’avais pas d’autres choix. En ce moment, on se rend compte qu’il n’y a pas de tâches réservées à la femme ou à l’homme. Quand c’est une obligation, tu n’as plus le temps de penser à certaines choses ou de penser aux dires et jugements des autres », dit-il. Puis, il précise que c’est lui qui lave les enfants et prend soin d’eux. « Acheter la nourriture n’a jamais été dans mes habitudes, alors je prépare. Chaque matin, je prépare avant de sortir », poursuit le natif de Rollo, dans la province du Bam.
Combler la pièce manquante du puzzle
La démarche nonchalante, Roukiétou Tapsoba semble être à bout de souffle. Un petit sourire teinté de gêne accompagné de soupir et elle nous explique n’avoir plus de nouvelle de son mari, parti avant même le déguerpissement de leur village, Silgadji, région du Sahel. « Nous étions ensemble il y a plus de 20 ans. Mais depuis 4 ans, je n’ai plus véritablement de nouvelles. Il a appris qu’on a fui le village et qu’on est ici, mais même au téléphone je n’ai pas de ses nouvelles. Il semble qu’il est orpailleur vers Banfora (Ndlr. extrême ouest du Burkina) », se contente-t-elle.
Principale pourvoyeuse de ressources de la maisonnée de 5 enfants, Roukiétou a pendant un temps vendu du sable qu’elle balayait dans la rue. « Le marché du sable ne marche plus, les constructions avancent et occupent l’espace sur lequel on balayait. Je vends donc de l’arachide pour avoir de quoi faire les petites dépenses de la maison », note celle qui a regardé, impuissante, ses enfants arrêter l’école par faute de moyens. Elle a dû orienter certains enfants vers l’apprentissage de métiers.
Dans un coin de la cour familiale de Oumou Salamata Sawadogo un métier à tisser trône, tout poussiéreux. « Quand tu joues les deux rôles, vraiment ce n’est pas simple. Il faut être homme et femme. Toutes les charges me reviennent (…) J’apprenais aussi à tisser, mais je n’ai pas les moyens pour acheter la matière première », regrette la cheffe de famille, en fixant son métier à tisser.
Le défi d’être à la hauteur
Elle invoque Dieu dans presque chacune de ses phrases. Cette fois pour lui rendre grâce d’avoir eu des enfants sages. Sinon, reconnaît Oumou Salamata, l’autorité d’un homme est importante. Mais, elle rassure avoir comblé ce vide. « Vraiment les enfants font preuve de sagesse, c’est vrai qu’ils m’écoutent. La nuit on cause, je leur donne des conseils pour qu’ils se comportent bien. Je leur rappelle tout le temps que leur père n’étant pas là, ils doivent faire preuve de sagesse et éviter certains travers », dit-elle.
Cette absence semble se ressentir encore plus chez Roukiétou Tapsoba. Pour elle qui dit bénéficier de la générosité de bons samaritains pour se loger, s’occuper des enfants est un fardeau qu’elle a réussi jusque-là à porter, avec courage et dignité. « Les enfants ont besoin d’autorité. Si leur père était là, ça allait être plus simple. Je fais ce que je peux, surtout pour les rappeler à l’ordre. Il faut répéter avant qu’ils n’obéissent, alors que si leur père était là, les choses seraient différentes », estime la ressortissante de Silgadji.
Il n’est pas question de remettre les enfants à qui que ce soit pour s’en occuper, avec le risque qu’on les fasse souffrir, clame Aboubacar Boena qui dit pouvoir bien jouer le rôle de père et aussi de mère pour ses enfants afin qu’ils s’épanouissent.
La nuit tombe sur Panzani. Sur la principale voie d’accès au quartier en plein chantier, nous laissons derrière nous, un nuage de poussière. Derrière nous surtout, ces hommes ou femmes déplacé.es et séparé.es de leurs conjoint.es pour diverses raisons et qui se battent pour maintenir un équilibre familial déjà secoué par l’insécurité.
Tiga Cheick Sawadogo