A mille lieues de chez lui, Ismaël Sawadogo égaye les papilles gustatives à Maradi, plus de 600 km de la capitale nigérienne. Arrivé dans la capitale économique du pays du Ténéré il y a 4 ans, le natif de Zorgho dans la région du plateau central du Burkina s’est forgé une bonne réputation dans l’attiéké poisson braisé, les frites et l’alloco. Une intégration réussie pour le burkinabè qui emploie une dizaine de jeunes, notamment des nigériens.
La nuit tombe sur Maradi. Le centre-ville, véritable poumon économique se vide peu à peu. Ici, tout le monde semble être pressé. A commencer par les touk touk, ces tricycles couverts, de couleur jaune qui font le taxi et circulent comme s’ils étaient poursuivis. Derrière la place de la tribune publique qui accueille généralement des cérémonies, une légère fumée s’échappe des fourneaux.
Le doux parfum qui l’accompagne fait penser à la grillade. C’est juste. En s’approchant, on peut apercevoir une dizaine d’hommes, tous occupés. Sur une grande table, certains entaillent des carpes prêtes à passer sur la braise. D’autres veillent sur les poissons en les badigeonnant d’huile ou de marinade, pendant que certains s’activent à frire de la pomme de terre ou de la banane plantain, communément appelée alloco. Au milieu de cette ambiance, un homme supervise. C’est Ismaël Sawadogo, le boss de « Festival de poisson braisé chez Sawadogo ».
L’appel du destin à Maradi
En 2018 quand Ismaël, une trentaine d’années, quitte Ouagadougou, sa destination est Niamey. « C’est avec des compatriotes que je travaillais à Niamey. Nous étions nombreux. Au lieu de se regrouper tous en un seul lieu, entre-temps, j’ai eu l’idée de changer de ville. C’est ce qui m’a envoyé ici », explique le cuistot tout en veillant sur ses carpes au feu. En décidant de quitter la capitale nigérienne, dans un coin de sa tête, c’est à Agadez qu’il veut s’installer. « C’est une personne qui m’a soufflé les opportunités de Maradi et il m’a convaincu. Je ne connaissais pas Maradi, j’entendais le nom seulement », poursuit le natif de Zorgho.
Alors Ismaël débarque dans la capitale économique du Niger, déterminé à se faire une place dans la restauration. Entre questionnements et doutes, il a su maintenir sa fougue intacte. Il le dit lui-même, avec sourire, il a failli tout abandonner dans cette ville où il ne connaissait personne. « J’avoue que j’ai failli repartir, tellement c’était dur au début. Je ne connaissais personne et personne ne me connaissait. Mais j’ai décidé de tenir bon seulement », dit-il, avec un léger sourire qui traduit une fierté. Le parfum de ses spécialités, poisson braisé, brochettes, attiéké, alloco, frites embaume progressivement la ville.
Ismaël commence à se faire un nom. La population l’adopte. Son secret, il dit ne pas en avoir. Juste la hargne de bien faire les choses et laisser les résultats parler pour lui. « J’aime les choses bien faites, qui me satisfassent d’abord. Au début on disait que je vendais moins cher et je répondais que c’est une stratégie pour bien me faire connaître », admet le jeune pour qui, avoir un bon comportement est aussi gage de bonne intégration.
Bien intégré
Le sourire permanent, il glisse régulièrement des mots en haoussa (langue majoritairement parlée à Maradi) à ses nombreux clients qui piaffent d’impatience d’être servis. « Je ne parlais aucun mot de haoussa, c’est ici que j’ai appris. L’intégration se passe bien. Je n’ai jamais eu de soucis, des difficultés particulières avec quelqu’un. Jusqu’à présent, ça va. Il n’y a pas de discrimination. Je rends grâce à Dieu », ajoute-t-il. Les plats proposés par Ismaël sont particulièrement prisés.
Mohamed, notre guide nous confiera d’ailleurs que les travailleurs en mission à Maradi connaissent tous l’adresse de Ismaël quand ils veulent manger du poisson braisé accompagné d’attiéké ou de frites. L’intéressé, comme pour confirmer la réputation d’homme humble qui accompagne souvent les Burkinabè, se garde de ces propos élogieux. « Les gens disent effectivement que si on veut manger du bon attiéké ici à Maradi, je suis la bonne adresse. C’est ce que les gens disent, je ne sais pas si c’est vrai. Si je parle, c’est comme si je me glorifiais », se contente-t-il, avec un sourire qui traduit une certaine gêne.
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Ce soir-là, Abdou Moussa est de passage avec son fils. Arrêté à l’abri de la fumée, il attend sa commande. Plus qu’un client, c’est un ami de Ismaël. « Je suis passé pour saluer mon ami Sawadogo, je suis un de ses clients. Il fait vraiment du bon travail. C’est un jeune qui se débrouille très bien (…) A Maradi si vous voulez du bon poisson braisé, du bon attiéké, de l’alloco, frites, c’est ici. Il a assez de clients parce qu’il le fait très bien », confirme Abdou Moussa.
Un sachet noir en main, Pantalin Abdel Kader, médecin radiologue lui a déjà pris sa commande d’alloco et d’attiéké, comme à son habitude, nous dit-il, et s’apprête à partir. Lui également s’est lié d’amitié avec Ismaël depuis quelques années. « Je l’ai rencontré ici on a lié une amitié qui perdure jusqu’ici. Sa cuisine est impeccable. J’apprécie tout ce qu’il fait : le poisson, la soupe qui accompagne l’alloco et l’attiéké », encense le client. Pour lui, Ismaël Sawadogo est un exemple d’intégration réussie.
« Il glisse des mots en langue locale, il y a des petites taquineries à droite à gauche. C’est l’intégration il ne fait que démontrer que nous sommes de la même famille », se réjouit médecin radiologue avant de se fondre dans la pénombre.
Le poids de l’insécurité
Terry est un jeune qui travaille avec Ismaël depuis trois ans. Comme les autres employés, il dit avoir affaire à un patron disposé à partager son savoir-faire, mais avant tout rigoureux. Une rigueur qui selon le patron, s’explique par sa volonté à maintenir sa clientèle. Selon lui, le marché a beaucoup baissé ces dernières années à cause de la crise, mais lui arrive toujours à tirer ses…carpes du feu, grâce justement à sa bonne réputation.
« A cause de la crise, tout est devenu cher. Par exemple, avant le plat d’attiéké était à 500 F CFA , il est maintenant à 1000 F CFA, parce qu’avant, je commandais l’attiéké directement de Ouaga, ça me revenait moins cher et ça ne durait pas sur la route. Mais avec la crise, je suis obligé de commander avec des gens à Niamey qui font venir l’attiéké de Ouaga et là, ça me revient plus cher», explique-t-il.
Loin de sa femme restée au Burkina, Ismaël dit souvent avoir la nostalgie du pays. Il ne peut plus se rendre régulièrement dans son pays comme avant, à cause de l’insécurité qui mine les routes. Pour parachever l’intégration, Ismaël nous confiera ne pas exclure l’idée d’épouser une jeune fille de Maradi. « Je n’ai pas encore eu de femme haoussa, mais je cherche encore », nous lance-t-il, tout hilare.
Tiga Cheick Sawadogo