Non, il n’y a pas de rupture des antirétroviraux au Burkina Faso. C’est Dr Salam Dermé, pharmacien spécialiste en économie de la santé, qui le dit. Dans cet entretien, celui qui est par ailleurs chef du département chargé du secteur santé au sein du secrétariat permanent du Comité national de lutte contre le Sida et les IST (SP CNLS-) donne également des chiffres sur l’actualité du SIDA au Burkina.
Studio Yafa : Quel état des lieux on peut faire du VIH/sida au Burkina Faso ?
Dr Salam Dermé : En termes d’état des lieux, cet entretien vient à point nommé parce que nous venons de faire le point des résultats programmatiques de fin 2024. Donc, pour faire l’état des lieux, nous pouvons dire qu’en termes de prévalence du VIH, sur le plan national, nous avons 0,6 %. Ça veut dire que sur 1000 personnes, on estime à environ 6 personnes qui sont porteuses du virus du sida au Burkina. Ça, vous voyez qu’on vient de loin. Il y a une époque, si notre génération s’en souvient, où, dans les quartiers, on indexait les gens. A ce moment, nous étions à une prévalence de plus de 7 %. C’est-à-dire que, présentement, nous sommes à 6 personnes porteuses sur 1000 Burkinabè.
Le deuxième chiffre qui est important à relever, c’est qu’en fait, on a établi des indicateurs pour permettre de comparer les progrès sur l’ensemble du pays. Des indicateurs normalisés et nous avons des estimations annuelles. Et, fin 2023, en 2024, on estimait le nombre de personnes vivant avec le VIH au Burkina à environ 95 000. Ainsi 95 000 personnes vivant avec le VIH au Burkina, dont 9 500 enfants, en estimation. Pratiquement deux tiers de ces personnes estimées porteuses du virus sont des femmes. En termes de nouvelles infections, c’est-à-dire les infections qu’on rencontre au cours de l’année, on a environ 1 900 ou 2 000 nouvelles infections dans l’année.
On a enregistré pour fin 2023 environ 2 600 décès. Les orphelins dus au sida, c’est à peu près 86 000. Alors maintenant, quand on va prendre la prévalence sexo-spécifique, vous pouvez voir que la prévalence au niveau national est de 0,6, mais la prévalence chez les femmes que nous suivons régulièrement par les enquêtes de séro-surveillance, on est à 0,7. Donc, il y a 0,1 de plus que la moyenne nationale.
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Sur les 95 000 personnes estimées pour le Burkina, l’effort de la prévention et du dépistage devrait nous permettre d’identifier les 95 % de ces personnes à mettre immédiatement sous traitement. Donc, quand on prend ce volet en fin 2024, sur l’ensemble des 126 sites de prise en charge du VIH au Burkina, nous avons enregistré dans les files actives environ 84.000 pour être plus exact.
Donc, quand on prend ce 1ᵉʳ indicateur, qui est un indicateur qui résume l’ensemble des progrès et des efforts, sensibilisation, dépistage, l’ensemble des acteurs, en fin 2024, nous sommes à 84 852 personnes vivant avec le VIH identifiées et enrôlées dans les files actives. Donc, dans l’ensemble du pays, il y a 126 sites de prise en charge médicale. Donc, sur les 95 000, nous avons atteint ce résultat qui représente 89%.

Selon les normes et les protocoles en vigueur au Burkina, le délai entre le diagnostic positif et le traitement doit être tel que, dans la première semaine, on puisse mettre la personne immédiatement sous traitement. Ainsi, l’ensemble des 84 852 personnes qui sont identifiées sont toutes sous traitement. Ils sont tous sous traitement au Burkina.
Donc on peut dire que 100 % des personnes qu’on arrive à dépister, on les met sous traitement. Mais il y a un gap. Donc, par rapport à ce deuxième 95, nous sommes également à 89 %.
Et maintenant, par rapport au troisième résultat qui est la suppression de la charge virale. Ça c’est un gros indicateur qui montre que le traitement marche. Parce que quand le traitement marche, en principe à 6 mois de prise du traitement bien suivi, si on fait la prise de sang et on dose la quantité de virus circulant dans le sang, on devrait arriver à moins de 1000 copies par millilitre.
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Donc, si on est à 1000 copies par millilitre, ça veut dire que le traitement marche et empêche le virus de se répliquer dans l’organisme pour pouvoir coloniser toutes les cellules et puis les endommager. Donc ça, c’est un vrai indicateur que le traitement marche, que le traitement est suivi et que ça maintient le virus à un niveau que nous disons qu’il est supprimé. Il devient indétectable.
Et par rapport à ce troisième indicateur, cette année nous sommes à 59 %. Parce que 59 %, puisqu’il faut pouvoir faire l’examen de charges virales à tous ceux qui sont sous traitement, et ça c’est la couverture. On en est à 73% par rapport à tous ceux qui sont sous traitement.
Donc, parmi ceux qui ont fait, ceux qui ont une charge virale indétectable inférieure à 1000 copies, et nous sommes sur les 83 000, on a pu réaliser 62 000 charges virales et parmi les 62 000, 56 000 ont été supprimés. Et l’important de cette suppression-là, c’est que si on arrive à maintenir cet état de suppression, en continuant le traitement, en maintenant cet état que la charge virale est indétectable, un, le patient ne va pas aller vers le stade maladie. Quand il y a de l’infection à VIH, il y a la maladie du sida.
Et qu’en est-il de la disponibilité du traitement concernant les antirétroviraux ?
Je vois que la presse, vous écoutez, vous suivez l’actualité. Donc, en termes de disponibilité, ce que je peux vous dire à l’instant, et de façon factuelle, au Burkina, le traitement, les médicaments antirétroviraux pour la prise en charge du VIH sont disponibles. Nous ne connaissons pas une situation de rupture ou de tension de stock en ce qui concerne les médicaments antirétroviraux. Parce que la façon dont nous faisons l’approvisionnement là, nous prenons beaucoup, il y a une analyse qui dit que nous prenons beaucoup d’éléments qui font que, même s’il y a des contraintes endogènes ou exogènes, nous arrivons à gérer.
Parce que le traitement doit être disponible sur le patient tous les jours. Donc, présentement, les ARV, vous partez à la CAMEG, le stock national est disposé là-bas, les médicaments antirétroviraux sont disponibles et nous avons un bon stock qui nous permet de prendre en charge jusqu’en fin 2025 tous ceux qui sont sous traitement, tous les 84 000. Donc, je vais vous expliquer comment, en fait, l’approvisionnement fonctionne.
Là où je suis assis, je sais déjà approximativement les besoins du pays en 2026 jusqu’en 2030. On fait une projection et chaque année, en fonction des stocks, à la fin de l’année, les inventaires sont faits au niveau de la CAMEG, au niveau du ministère en charge de la Santé et nous déduisons les besoins de l’année en cours, les besoins pour assurer la continuité du traitement et les besoins de l’année en cours. À cela, nous faisons un stock de sécurité de six mois.
Pour les réactifs et autres, c’est six mois. Pour les ARV, il y a un stock de sécurité national de neuf mois. Donc, ce qui fait que même s’il y a un choc sur la disponibilité des ARV, nous n’avons pas de choc, mais nous pouvons avoir des tensions de stock, des ruptures sur un certain nombre d’années, mais surtout sur les réactifs.
Sur le plan technique, il y a des produits qui n’ont qu’une durée de vie de six mois. Donc on prévoit, on anticipe, si bien que, si c’est la disponibilité pour le traitement, je peux vous assurer, et vous pouvez vérifier cette information auprès de la CAMEG qui gère le stock national. Et la commande, le Secrétariat permanent est responsable de la mise à disposition du ministère chargé de la Santé des médicaments et de tous les intrants VIH pour permettre et le dépistage et la prise en charge et le suivi.
Et quelle alternative si ce stock venait à s’épuiser ?
Au Burkina, nous sommes responsables et c’est un État responsable qui s’engage. Quand vous regardez, les sources de financement de l’acquisition des ARV, essentiellement, nous avons trois sources. Il y a le budget de l’État qui contribue à moyenne, chaque année, à 3 milliards de FCFA pour le paiement des ARV, pour le paiement des intrants VIH. Il y a le Fonds mondial de lutte contre le sida. Et, chaque trois ans, nous soumettons une requête de financement, pas seulement pour les produits de santé. Quand je dis produits de santé, j’englobe ARV, les réactifs.
Et nous soumettons une requête de financement pour un certain nombre d’activités, plus les produits de santé, y compris les intrants rétroviraux. Il y a également, depuis 2019, que nous avons l’appui du gouvernement américain pour soutenir le VIH.
Et depuis 2019, nous bénéficions de ce financement-là, et qui contribue également à payer une partie des intrants VIH.
Donc, vous avez ces trois sources de financement. Ces trois sources de financement, quand vous regardez, en moyenne, chaque année, les besoins de financement pour l’acquisition des intrants, on est pratiquement, selon les années, entre 8 et 10 milliards. Donc, l’État, depuis longtemps, depuis 2004, a inscrit une ligne budgétaire pour payer les médicaments.
Donc déjà, ça, ça constitue une sécurisation. Le Fonds mondial continue. Pour l’État, en termes de proportion, de la contribution de l’État sur les intrants et sur les ARV, par année, ça varie entre 30 à 40%. Le Fonds mondial est à peu près 35-40%. Et la contribution américaine, c’est en moyenne 14-15%, pour l’instant, sur le côté intrant.
Donc, s’il y a un choc, rapidement, d’abord, nous amortissons ce choc à travers le stock de sécurité.
Donc, je voulais vous rassurer que certainement que vous entendez avec la suspension de l’aide américaine, le programme de la suspension pour 3 mois 90 jours. Nous ne pouvons pas dire que nous n’avons pas d’impact, mais nous n’avons pas un impact sur la disponibilité des traitements antirétroviraux.
Quelle est votre stratégie pour la prise en charge des malades du VIH qui sont déplacés ?
Pour nos compatriotes, compte tenu de la double contrainte sécuritaire et humanitaire qui se sont déplacés du fait de ces contraintes-là, je pense que depuis 3-4 ans, nous avons développé un plan d’urgence PDI que nous mettons en œuvre à travers des organisations communautaires qui vont faire la sensibilisation au niveau des sites d’accueil, jusqu’à offrir le dépistage.
Il y a de nouvelles approches, ce que nous appelons les ADS, les approches différenciées de services VIH, qui font que pour atteindre ces populations, ou même pour atteindre les zones à défis sécuritaires, par rapport à l’approvisionnement, il y a des structures où nous faisons un approvisionnement. C’est-à-dire qu’on peut aller remettre, par exemple, 10 mois de consommation. Et il y a également, dans les approches différenciées de services, il y a ce que nous appelons le RACODES, le ravitaillement communautaire en développement des services de soins, qui, par les réseaux des associations, les gens apportent le traitement individualisé aux personnes qui sont dans le besoin.
Ainsi, ici, les gens vont partir en transport. Dans son sac, il y a 6 mois de traitement pour aller donner à quelqu’un. Donc, c’est un peu ainsi qu’on s’adapte. Il faut innover, il faut s’adapter. Donc, c’est un peu comme ça que nous prenons-en compte cette double contrainte humanitaire. Et en cela également, nous sommes appuyés par les partenaires techniques et financiers.
Il y a également les convois sécurisés de l’Armée, souvent utilisés pour convoyer des stocks de médicaments vers les régions, dans une contrainte sécuritaire exacerbée.
Entretien réalisé par Boureima Dembélé