Augmentation du prix des motos: A Ouaga, clients et détaillants accusent les grossistes qui se défendent
La hausse des prix des motos est constatée depuis le début de l'année, 23/04/2025, Studio Yafa

Augmentation du prix des motos: A Ouaga, clients et détaillants accusent les grossistes qui se défendent

Depuis le début de l’année, les prix des motocycles ont augmenté à Ouagadougou, capitale des deux-roues, et dans tout le Burkina Faso. La grogne des consommateurs n’y a rien fait. Pour certaines motos, il faut débourser plus de 200 000 F CFA du prix initial. Alors que les grossistes sont pointés du doigt, certains se défendent et brandissent comme causes, des facteurs dont ils n’ont pas la maîtrise à l’international.

Yobi Sawadogo l’a enfin. Il vient d’acheter la moto de ses rêves. Une Yamaha Exciter. Mais visiblement, le jeune reste de marbre. Pas de grande effusion de joie. L’engin lui a coûté plus que prévu. En face du stade Joseph Issoufou Conombo de Ouagadougou ce 23 avril 2025, il attend les derniers réglages avant de faire vrombir son engin.  

Yobi Sawadogo attend de repartir avec sa nouvelle moto, 23/04/2025, Studio Yafa

« Je voulais cette moto depuis longtemps, mais le prix n’était pas à ce niveau. Les gens disaient que ça ne dépassait pas 1 200 000 F CFA. Je ne savais pas que l’augmentation était comme ça. J’ai acheté à 1 750 000 F CFA », lâche-t-il, les yeux rivés sur le mécano qui serre des écrous de son nouvel engin.

Pendant que Yobi attend de partir avec sa moto, accompagné de son frère, d’autres acheteurs font le tour des différentes motos. Ils vont et viennent. S’enchainent alors des discussions interminables avec les aides-vendeurs sur les prix. Les mines se froissent. L’augmentation est hors de portée pour certains.

Quand des acteurs s’en lavent les mains

A Ouagadougou, au quartier Samandin, ce lieu communément appelé théâtre populaire, est l’antre des deux-roues. Motos neuves et d’occasion, réparations, pièces détachées…sont proposés. Assis sous un hangar, Albert Tiemtoré semble guetter le premier client de la journée. Une joie de courte durée quand il se rend compte que ceux qui s’approchent de lui ne sont pas des acheteurs, mais des journalistes.

 L’augmentation du prix des motos est un choc pour lui et ses camarades. «Franchement, l’augmentation est élevée. Le marché est totalement au ralenti », maugrée le commerçant. Très vite, il se lave les mains. Les acteurs de cette hausse seraient ailleurs, pas chez lui qui se présente comme revendeur.

Les vendeurs au détail des motos accusent les grossistes comme acteurs des augmentations, 23/04/2025, Studio Yafa

« Nous achetons les motos chez des grossistes. Chez ces derniers, les prix ont augmenté. Depuis environ 3 mois, ils disent souvent même que ça manque. Tu finis de vendre, tu vas pour acheter chez le grossiste, il te fait savoir que le prix a augmenté. On ne comprend rien. Les clients ne nous font pas confiance », poursuit-il.

« On achète avec des grossistes. Ceux qui peuvent expliquer cette augmentation, ce sont les personnes qui partent acheter à l’extérieur », renchérit Moussa Ouandé, vice-président du marché des cyclomoteurs. Mais qui sont ces revendeurs ? Mystère et boule de gomme. Ni Moussa, ni personne dans le marché ne veut nous le faire savoir. « Tu as éteint l’appareil ? », nous lance le vice-président. Ils nous expliquent alors, hors micro, qu’il ne peut nous le dire sans passer pour un « indic ». Vaguement, il nous oriente dans une ruelle principale du marché. Là également, tout le monde feint d’ignorer qui sont les grossistes sur qui pèsent les accusations de l’augmentation des prix des engins.

Cache-cache avec les grossistes

Finalement, un jeune revendeur nous oriente, avec précision. Le premier grossiste que nous voyons aux encablures du lycée Bambata tourne le dos quand nous expliquons les raisons de notre visite. « Le patron n’est pas là et moi je ne peux pas vous répondre », nous répond-t-il sèchement, suivi d’un sourire narquois.

Deuxième grossiste, pareil. Une dame nous reçoit et nous fait savoir que le patron est en déplacement et qu’elle n’est pas habilitée à nous parler. « Certains sont venus causer ici, enregistrer nos propos et mettre sur les réseaux sociaux comme si nous étions des voleurs. Est-ce que c’est bien », nous demande la dame, la mine grave.

Le commerçant chez qui Yobi Sawadogo a acheté sa moto est finalement le seul grossiste qui accepte de se prêter à nos questions. Mamadi Démé, qui dit être dans l’activité de vente d’engins à deux roues depuis plus de 17 ans, avoue n’avoir jamais connu une telle situation de hausse vertigineuse de prix. « Chaque année, il y a des moments ça augmente : décembre-janvier-février. Mais c’est très loin de ce que nous vivons actuellement », consent le grossiste.

A titre d’exemple, la moto Sirius est passée de 725 000 à 900 000. La Yamaha Mio qui était cédée à 800 000 est maintenant vendue à   900 000, pendant que la 150 Exciter a glissé de 1 550 000 à 1 800 000 F CFA

Des causes exogènes brandies

Plus un produit est rare, plus il est cher, résume Mamadi. En Indonésie et en Thaïlande où il dit se ravitailler, les usines sont en baisse de production. « En vérité, un grossiste ne peut pas se lever de lui-même pour augmenter les prix. Ça ne l’arrangerait même pas. Si tu arrives, tu cherches et tu ne trouves pas, il faut acheter en détail avec les commerçants qui sont là-bas. Là, il faut démonter pour mettre dans les conteneurs. Ce n’est pas facile, les gens ne comprennent pas. On achète en euros et en dollars. Il y a trop de dépenses. Si on achète directement à l’usine, ça nous facilite la tâche et les prix sont plus abordables », explique le commerçant.

Mamadi Démé, grossiste, dans son magasin de vente, 23/04/2025, Studio Yafa

La main sur le cœur, il avoue que contrairement à ce que certains pourraient penser, cette situation dessert davantage les grossistes. Le marché a pris un coup. De plus de 30 motos vendues quotidiennement, il en est à une dizaine. « Tu vendais par exemple deux conteneurs dans le mois, tu ajoutes les prix, et si les détaillants n’achètent plus, tu vas vendre en deux mois. Si ce n’est pas un commerçant qui ne connait pas le marché, il ne souhaiterait pas l’augmentation du prix des produits. Quand c’est moins cher, ça sort facilement. Dans le cas contraire, tu ne vends pas. Pendant ce temps, il y a des taxes et autres dépenses comme le loyer, les factures, les employés… » poursuit Mamadi.

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La recrudescence des plaintes a amené la brigade mobile de contrôle économique et de la répression des fraudes à faire une descente dans les magasins. Dans son communiqué du 8 avril, la structure a informé avoir mené une opération sur le terrain pour identifier les causes de l’augmentation des prix des motocyclettes. « Les résultats de l’enquête seront bientôt communiqués, avec des mesures correctives prévues pour stabiliser la situation », pouvait-on lire.

La brigade mobile de contrôle économique et de la répression des fraudes a promis livrer les résultats de son enquête, Ph: Capture d’écran

En attendant les résultats, les contrôleurs de la brigade sont encore sortis le 17 avril 2025 pour exiger des acteurs du marché, importateurs, grossistes, détaillants et revendeurs, la présentation des factures d’achat et de vente. « Les échanges ont été particulièrement houleux, certains commerçants tentant de contourner l’obligation de fournir les documents requis (…) Certaines pratiques telles que la spéculation ou encore l’allongement de la chaîne de distribution par l’intégration de revendeurs non reconnus contribueraient à cette flambée des prix des motocycles, selon le constat des contrôleurs », a communiqué la brigade qui a par ailleurs précisé qu’ « au regard de ces pratiques jugées inappropriées dans le contexte actuel du pays, ces commerçants véreux devront répondre de leurs actes auprès de la BMCRF ».

Conséquence de cette sortie ou pas, Mamadi Démé laisse entrevoir une lueur d’espoir pour le consommateur. Les usines auraient repris progressivement les productions et, dans les semaines et mois à venir, les prix pourraient rechuter.

Tiga Cheick Sawadogo