Les enseignants des établissements privés d’enseignement subissent de difficiles conditions de travail. Avec des salaires dérisoires parfois de 20 000 F Cfa, des retards de paiement, une absence de couverture sociale, ces jeunes en majorité, se sentent marginalisés du système éducatif. Le secteur est pourtant régi par des textes dont une convention collective signée en 2016. De leur côté, les promoteurs d’établissements disent appliquer simplement les textes.
Septembre 2017. Ibrahim Béré, alors étudiant fraichement diplômé d’une licence en Lettres modernes, décide de se lancer dans le secteur de l’enseignement. Il espère se faire un peu de revenus afin de subvenir à ses besoins tout en poursuivant ses études. Dossiers en mains, il sillonne alors plusieurs établissements d’enseignement privé jusqu’à obtenir gain de cause dans la région du centre-nord.
Dans la commune de Tougouri précisément. Mais Ibrahim ignore qu’il vient d’embrasser un domaine aux multiples problèmes. « Vous recrutez quelqu’un du niveau licence avec des heures touffues, un contrat insignifiant. 100 000 F cfa. Deuxièmement, on ne respecte le tarif des heures supplémentaires. On vous remet 2300 francs, parfois c’est 2000 francs CFA » explique tout indigné Ibrahim Béré.
Et pourtant, la règlementation est claire en la matière. Chaque heure supplémentaire pour le niveau licence est fixée à 2500 F cfa. Avec ce contrat de 100 000 F cfa, Ibrahim a encore de la chance ! Certains enseignants du secondaire avec le même niveau sont rémunérés à 75 000 F cfa par mois. Pour une heure supplémentaire, ils sont payés à 600 francs.
Obligés de subir
La question des contrats n’est pas le seul problème du secteur. En plus d’être sous-payés, les enseignants des établissements privés font face de façon récurrente à des retards de paiement et des arriérés de salaires. Presque tous les enseignants vacataires sont concernés selon Ibrahim : « Rares de vacataires qui ne subissent pas ça. Selon eux, souvent c’est par manque de fonds. Pour d’autres aussi, c’est la mauvaise volonté ».
En quatre ans, Ibrahim Béré, le jeune enseignant dévoué de français-anglais a dû parcourir les régions du centre-nord, du centre, du centre-est et du plateau central pour fuir chaque année les conditions précaires de travail. Des conditions qui impliquent également une absence de couverture sociale. « Pour la plupart, ils ne sont pas déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale. Le fait que l’Etat ne contrôle pas assez ce secteur, les promoteurs font ce qu’ils veulent. Quand ils veulent, ils rompent les contrats de façon abusive », regrette Mahamadou Diandé, secrétaire général de la coordination des enseignants du privé.
Plusieurs enseignants ont d’ailleurs convoqué leurs employeurs à l’inspection du travail pour rupture abusive de contrat. Ces affaires sont en cours. « Au niveau de l’inspection du travail, il leur a été dit purement, aux promoteurs d’écoles, qu’ils ne pouvaient pas rompre les contrats de cette façon. Et que la convention collective de l’enseignement ne permettait pas cette rupture de contrat », détaille Mahamadou Diandé.
Non respect de la convention collective
Ces traitements dévalorisants pour des jeunes parfois diplômés de master à la recherche d’un mieux-être. Bien qu’il s’agisse d’un emploi temporaire, ces « oubliés », comme ils se qualifient eux-mêmes, se retrouvent avec un avenir incertain selon Brahima Kinda, un autre enseignant : « On le fait uniquement pour pouvoir vivre. Surement, quand on venait vous m’avez suivi. Vous avez vu l’état dans lequel se trouve ma moto. Il faut dire qu’à un moment donné, même pour faire des économies pour pouvoir investir, te chercher quand même un engin, c’est extrêmement difficile ».
Depuis le mois de mai 2016, le secteur dispose pourtant d’une convention collective signée entre les promoteurs d’établissements et 11 syndicats d’enseignants. Ce texte devrait permettre une amélioration des conditions de travail des enseignants du privé mais ce n’est pas le cas à ce jour.
Les promoteurs disent pourtant l’appliquer à la lettre. « Un salaire n’est jamais suffisant. Seulement, un établissement d’enseignement, c’est aussi une entreprise et on doit assurer aussi la pérennité de l’activité. Donc, nous avons négocié avec les syndicats et nous sommes tombés d’accords sur un niveau minimal de salaire qu’il faut payer », relève Désiré Nacoulma, président de l’Union nationale des établissements d’enseignement privé laïc.
Ce niveau minimal est fixé à 84 000 F cfa pour l’enseignant du secondaire dans l’enseignement général, en fonction du diplôme. Le secteur est infesté d’établissements clandestins estimés en 2020 à 134 selon les données du ministère en charge de l’éducation nationale. Le chef de service des autorisations de diriger et d’enseigner du MENA, Amadou Sidibé, pointe un doigt accusateur surtout vers ces écoles clandestines : « Les établissements qui n’ont pas d’autorisation d’ouverture pour la plupart sont ceux qui traitent très mal les employés. Au niveau de l’école primaire, vous pouvez trouver des enseignants parfois qui ont un salaire qui tourne autour de 20 000 francs, 25 000 francs par mois ».
Depuis quelques années, ce ministère a entrepris la fermeture des établissements sans autorisation d’ouverture. Une mesure visiblement insuffisante. Le mauvais traitement se poursuit de plus bel et ces milliers de jeunes, par manque d’emplois sont obligés de subir parfois sans broncher.