Une mission suicide. C’est ce qui attend un transporteur qui s’hasarde sur l’axe Fada-Pama dans la région de l’Est. Ainsi en ont décidé des groupes armés terroristes depuis bientôt une année. Certains transporteurs passent désormais par le Togo pour rallier cette partie du Burkina. Pour d’autres, c’est le chômage et l’incompréhension. « Donc nous sommes dirigés par deux gouvernements. Celui de Ouagadougou et celui de la brousse », fulminent-ils.
Non loin du conseil régional de l’Est, le bas-côté du goudron est transformé en gare. C’était le quartier général des voyageurs et transporteurs à destination de Natiaboani, Pama, Kompienga, Togo, Bénin…
Il est presque 19h et le petit marché est peu animé. Quelques véhicules sont garés pendant que des personnes devisent assises sur des bancs et des chaises. Nous avons rendez-vous avec un d’eux. Plus tôt dans la journée, il nous avait proposé de revenir à la tombée de la nuit. « Le pays n’est plus ce qu’il était, on ne sait plus qui est qui », nous avait-il confié en substance.
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Depuis février 2022, aucun véhicule ne vrombit encore sur cette route. Pas faute de carburant ou d’une panne, mais du fait de l’injonction des groupes armés terroristes. Le dernier voyage avant la fermeture de la voie, Mahoumoudou Diallo l’a effectué.
« Je conduisais ce jour-là. A 18 km de Pama, on les (Ndlr. Terroristes) a croisés. Ils nous ont dit de faire demi-tour parce que Pama a armé des civils contre eux. Que si on force, ils vont nous canarder ou nous égorger. On a remboursé chemin pour revenir à Fada. C’était aux environs de 9h », se rappelle le jeune chauffeur à voix basse.
Depuis le 18 février, Fada-Kompienga, route nationale n°18, jadis bien animée, n’est que l’ombre d’elle-même. Quelques temps après cette injonction, un chauffeur a tenté l’aventure, mais n’est plus prêt à la vivre. « Ils les ont copieusement frappés. Mais là, c’est parce que c’était un étranger qui ne savait pas », confie un transporteur.
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Pratiquement 12 mois donc que les véhicules, généralement du type « dina » sont presque mis sur cale. Des dizaines de chauffeurs, encore plus d’apprentis, se retrouvent au chômage. Membre d’un syndicat de transporteurs, Moussa Thiombiano est amer. Pour un tronçon stratégique comme celui Fada-Kompienga frontière du Togo, il s’attendait à une vive réaction des autorités après l’ultimatum des groupes armés. Elle n’est jamais venue.
« Des individus se lèvent et dictent leurs lois, nous-mêmes on ne comprend rien. Donc nous sommes dirigés par deux gouvernements. Les terroristes ont leurs lois et le gouvernement a aussi ses lois. C’est un double gouvernement, Ouagadougou et la brousse», s’offusque Moussa pour qui, la loi des terroristes est même mieux respectée. « Ils ont réussi à interdire à l’autorité même d’emprunter cette route-là. Les autorités même ne passent plus par cette route. Ou bien ? », poursuit-il, l’air fâché.
Pris entre deux feux
Entre le marteau et l’enclume, c’est ainsi que Mahamoudou Sanogo, secrétaire général du syndicat des transporteurs section régionale de l’Est caricature la situation des chauffeurs dans la région de l’Est.
« Vous partez vous avez des problèmes avec les terroristes, vous revenez c’est avec les forces de sécurité. Les transporteurs sont arrêtés par les forces de sécurité qui leur demandent de collaborer en donnant des informations. Par exemple sur la route de Pama y a eu plusieurs cas, certains transporteurs ont vraiment eu la chance. Nous avons entamé des démarches au niveau de la gendarmerie et de la police pour régler ces problèmes », explique le secrétaire général. Selon lui, les agents de sécurité ont aussi contribué à tuer le transport dans la région.
Sur d’autres axes à partir de Fada la situation n’est guère reluisante. «Sur 7 lignes directives sur lesquelles les transporteurs circulaient, il n’y a que deux lignes qui nous restent donc il y a 5 lignes qui ont été abandonnées par les transporteurs », explique Mahamoudou Sanogo.
Détour et rackets
Sur les rares tronçons que les véhicules empruntent, il y a celui de Fada-Kantchari. Mais là aussi, une conjugaison de problèmes a fini par réduire le nombre de départ de 25 à 2, selon une source proche du syndicat. « La route n’est pas bonne et il y a trop de contrôles. Il y a au moins 4 villages sur la route et dans lesquels on ne peut prendre embarquer un passager. Si tu t’hasardes, les terroristes qui font aussi des contrôle, vont les descendre et les faire entrer en brousse pour les exécuter », témoigne Raouf Sawadogo transporteur.
Les transporteurs souhaitent tous le retour de la sécurité pour continuer à vaquer paisiblement à leurs occupations. En désespoir de cause, pour continuer à rallier Pama, certains conducteurs font le grand détour. Ils traversent le Burkina par Tenkodogo pour rentrer au Togo avant d’entrer à Kompienga et à Pama. Plus cher pour le voyageur qui débourse 12500 FCFA au lieu de 3000 FCFA en temps normal, plus de tracasseries pour les transporteurs qui subissent les rackets de la police togolaise.
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Tiga Cheick Sawadogo